vendredi 13 novembre 2015

La Paz : Quand on arrive en ville


Il faut arriver de nuit à La Paz. Emprunter la longue route qui traverse le morne et glacial Altiplano, et se transforme petit à petit en rue. 


Altiplano

Apparaissent alors les premiers lampadaires, taches jaunes effleurant quelques murs et immeubles de brique pas finis, hérissés de fers à béton et d’échafaudages en bois. 



les divinadas



Pas encore de trottoirs, juste d’immenses flaques contournées par les chiens errants et de rares humains.




Ils se rassemblent autour des premiers carrefours, et de quelques vitrines de nourriture violemment illuminées.










 Bientôt, les minibus surgis de nulle part se font de plus en plus nombreux, et quand on entend les premiers klaxons on sait qu’on arrive en ville.




C’est El Alto (Le Haut), la grande, très grande banlieue qui surplombe La Paz, océan de briques (et de broc !). Près de 2 millions d’habitants, quand il n’y avait rien 50 ans plus tôt, personne n’étant assez fou pour s’installer à plus de 4000 mètres, là où aucun arbre n’a jamais poussé.


un pendu
Au coin des rues, accrochés aux réverbères, quelques pendus accueillent les nouveaux arrivants, une pancarte en travers de la poitrine expliquant aux éventuels voleurs le sort qui les attend. Ce ne sont que des poupées de chiffon, mais si bien faites qu’elles inquiètent grandement les enfants… et peut-être aussi les voleurs !

Bientôt il faut ralentir et rouler au pas, pour traverser un interminable marché à ciel ouvert. Dans la nuit le bus se fraye un chemin parmi les marchands qui commencent à remballer, les clients encore nombreux, les tas de détritus amoncelés au fil de la journée… et les autres bus et minibus circulant dans les deux sens ! Beaucoup d’enfants aussi, assis parmi les stands, la plupart hébétés de fatigue, immobiles, les yeux grands ouverts, une paille dans la bouche et dans les mains un verre en plastique plein de jus de fruit.



Soudain c’est la fin du plateau, la rue redevient route et tout à coup plonge, vertigineuse, dans un extraordinaire trou piqué de millions de points lumineux : La Paz! Ici les riches vivent en bas, au frais, et les pauvres en haut, dans le freezer.



On est installés pour deux semaines entre les deux, dans un appartement haut perché où l’on passe du temps, la nuit tombée, à regarder la cuvette illuminée partant à l’assaut des montagnes alentours. Les voisins nous certifient avec fierté qu’on est bien à la Paz et non à El Alto. Pourtant, sans les transports en commun, on ne serait sans doute pas souvent descendus dans la cuvette. Car ensuite, pour remonter depuis le rio en contrebas, il y a plusieurs centaines de mètres si pentus qu’il faut se pencher pour ne pas tomber en arrière ! 


belle pente
Quant aux véhicules, ils se lancent à fond en première à l’assaut du quartier, klaxonnant vigoureusement aux abords des carrefours, tout redémarrage étant à peu près impossible.
Grâce à un stage intensif d’une journée et demi avec Martin, le fils de notre propriétaire qui s’est proposé pour nous servir de guide, nous maîtrisons assez vite les transports en commun. 


Martin y Bertrand
Et pourtant ce n’est pas une sinécure, d’autant qu’évidemment il n’existe aucun guide, les touristes c’est bien connu prenant le taxi ! En ce qui nous concerne c’est notre sport favori, on y associe plaisir et économie. 



Premier coup de chance, une des toutes nouvelles et prestigieuses lignes des « Puma Katari », de grands bus ultra-modernes fraîchement livrés par les Chinois, passe presque sous nos fenêtres. Pour 0,20€ par personne ils nous emmènent au milieu de la cuvette. 



puma katari
Un dimanche matin, avec Albert, on s’amuse même à poursuivre la ligne jusqu’au terminus, dans l’autre sens ; au bout d’une demi-heure on se retrouve à la limite de la ville, là où la pente finit par buter sur les flancs de la montagne. Contrairement à ce que j’imaginais on ne finit pas dans des bidonvilles, mais dans un quartier qui finit de se construire, en tous points semblable au nôtre : eau et électricité, marchés, petits commerces, jeux pour enfants, petits terrains de foot… seuls l’absence de toits et les trottoirs en terre attestent de la ville en extension. Ce peuple de maçons et de charpentiers ne saurait se contenter de tôles et de cartons, et vu le prix des briques il aurait tort de s’en priver…





En dehors de ces quelques grands bus, l’essentiel des transports est assuré par une toile serrée de petits fourgons, qu’on appelle ici des minibus. Ils constituent l’immense majorité des véhicules circulant dans la ville, peut-être quatre ou cinq fois plus nombreux que les voitures, sachant qu’une voiture sur deux est un taxi !  



Les minibus sont soit les vieux Dodge carrossés en Bolivie, déjà rencontrés à Sucre et à Cochabamba, soit de plus en plus des fourgons de 8 à 16 places, plutôt récents, importés massivement de Chine, de Corée ou du Japon. Toyota est toujours en tête, mais les Chinois de King Long (ceux-là mêmes qui ont construit les Puma Katari), arrivent en force avec une armada de véhicules flambant neufs… 





Un voyage en minibus coûte entre 0,20 et 0,40€ par personne, suivant qu’on s’arrête dans la cuvette où qu’on passe sur le côté opposé. De petits panneaux fluo amovibles, posés sur leurs pare-brise, écrits en grosses lettres, indiquent leurs parcours, parfois si nombreux qu’on comprend que les conducteurs semblent ne pas voir les piétons… Il arrive que le chauffeur soit secondé par un assistant zélé, qui encaisse et aide les passagers à monter et à descendre, mais surtout qui fait le rabatteur à chaque carrefour, criant par la fenêtre ouverte les prochains arrêts… et ça marche !




Pour terminer, si on oublie les taxis qu’on ne prend qu’à la nuit tombée, la star des transports en commun est sans conteste le téléphérique. Les trois premières lignes, construites par les Italiens, n’ont été livrées que l’an dernier, mais le succès est déjà au rendez-vous. Un peu plus chères que le bus, elles offrent le principal avantage de garantir toujours le même temps de trajet, quelque soit l’état du trafic, et il n’est souvent pas terrible !  Le second avantage est de ne pas contribuer à l’augmentation de la pollution ambiante. Le principe est chaque fois le même, chacune des lignes reliant la cuvette au plateau, autrement dit La Paz à El Alto, en différents points stratégiques et avec des dénivelés impressionnants. 



A chaque voyage, un peu voyeurs, on contemple en contrebas les terrasses et les cours intérieures, invisibles depuis la rue, en essayant de résister au vertige…




Les téléphériques sont, avec les bus Puma Katari, le symbole de la modernisation de la ville, et même de la Bolivie tout entière, et déjà deux lignes supplémentaires sont en construction. Il faut dire que tout est fait pour sécuriser et bien accueillir les passagers : caméras dans chaque cabine, innombrables hôtes et hôtesses pour aider à l’embarquement, départs toutes les 30 secondes… Une seule ombre au tableau, mais qui est bien à l’image du pays : au-dessus du terminal de la ligne la plus fréquentée a été édifié un grand immeuble tout blanc et tout vitré, censé abrité un grand centre commercial, surmonté d’un mirador avec une magnifique vue plongeante sur La Paz. Un an après la mise en service, il n’y a que le mirador qui fonctionne, tous les autres étages sont totalement et désespérément vides. Et pour cause ! 




Le gigantesque marché à ciel ouvert d’El Alto n’a eu qu’à s’étendre de quelques centaines de mètres supplémentaires pour apporter les mêmes services, dans une version horizontale, colorée, bruyante, odorante et… muy barato (très bon marché)! 




C’est amusant, en sortant du terminal tout neuf par de belles rampes en inox, de presque buter sur les inévitables Cholitas, souvent assises à même le sol, et vendant absolument tout, depuis des offrandes et de la divination jusqu’aux jeux vidéo, en passant évidemment par les soupes, les jus de fruit et les poulets grillés !






vendeur de jus d'orange
Quant à nous, bien installés sur nos hauteurs, respirant l’air pur et protégés de la décadence urbaine par le protestantisme plus qu’assidu de nos propriétaires, on a repris notre rythme de croisière (cours le matin, balades l’après-midi), seulement interrompu par une ou deux virées de quelques jours dans les environs – voir par exemple le blog d’Hélène sur le lac Titicaca.



On se sent bien ici, contrairement à ce qu’on nous avait annoncé : pollution, saleté, violence urbaine, trafic délirant… On voit plutôt une ville animée, travailleuse, mais aussi ludique et sportive, pleine de jeunesse, tendue vers l’avenir sans renier ses racines. 



Ici les buildings côtoient les bicoques, et des taxis descendent autant des hommes d’affaire que des Cholitas… 




Chaque après-midi on quitte notre nid pour ce qui ne devait être qu’une petite balade, et chaque soir on rentre à la nuit, ayant découvert un nouveau quartier, un nouveau point de vue incroyable sur la ville. On passe aussi régulièrement à l’Alliance Française, dont la médiathèque bien pourvue nous fournit en livres et en films, qu’on se regarde le soir sur la télé grand écran de notre petit salon…




Grâce à Martin, qui y a vécu plusieurs années, nous avons aussi eu la chance de pouvoir nous promener longuement dans le quartier et le marché d’El Alto, fort peu recommandé aux touristes (d’ailleurs on n’en croisera aucun), où l’on ne se serait jamais aventuré sans lui.
Et puis on sait que dans quelques jours on va quitter la Bolivie, ce qui nous rend déjà un peu nostalgiques, et peut-être aussi pas très objectifs…






Nous quittons La paz ce vendredi par bus de nuit. Direction Cusco au Pérou.


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