dimanche 1 novembre 2015

De Toro-Toro à Cochabamba

Un voyage mouvementé

On est bien tristes ce matin, de quitter notre beau village de Toro-Toro, qui doit bien compter autant d’êtres humains que d’empreintes de dinosaures. Les vivants quant à eux laisseront des empreintes impérissables…dans nos têtes !



Chargés de nos gros sacs nous descendons la vieille rue pavée, encore toute glissante du gros orage de la veille, tout en fredonnant le tube du village, dont le refrain n’est pas difficile à apprendre : «Parque Nacional Toro-Toro !». Evidemment c’est mieux avec le charango et la guitare, comme lors du petit concert improvisé d’hier soir, dans le café de Benedicta…



Sur la petite place devant le marché, se trouve le bureau où viennent s’inscrire les voyageurs qui descendent à Cochabamba. C’est la seule destination possible, car la piste pavée s’est arrêtée ici, et pour continuer vers les autres vallées il n’y a plus que les 4X4, les motos et les ânes…
Les truffis (minibus) sont garés en file indienne comme des taxis, dans une petite rue adjacente, attendant sagement leur tour. Ici on ne prend pas son billet à l’avance et on ne choisit pas son chauffeur ni son véhicule : les truffis partent dès que leur quota de voyageurs est atteint,  soit entre 8 et 12 personnes selon les minibus.
Les enfants ont tout de suite repéré le truffi en pôle position, un superbe Nissan rouge 12 places tout neuf, et on s’empresse d’aller prendre nos billets.
Il est à peine 7 heures du matin mais la petite place est déjà bien animée, quelques familles mangent des soupes et des plats chauds devant les boutiques, assises sur des bancs et des petits tabourets. En attendant que le minibus finisse de se remplir, on laisse nos sacs dans le petit bureau et on va prendre le petit-déjeuner en face, à l’intérieur du marché, tout en surveillant les départs du coin de l’œil. Vingt minutes plus tard, après un dernier coup de klaxon, le beau truffi rouge quitte lentement sa place, tourne à droite et s’engage dans la grande descente…sans nous! Sans doute était-il déjà complet au moment où on s’est inscrits… Et juste après on voit surgir en marche arrière un autre minibus, beaucoup plus petit et beaucoup plus ancien, qui vient se garer à la place de l’autre, prêt à partir, et sans doute en retard parce que ses collègues le laissent faire...
Aïe aïe aïe, c’est pas de bol, les enfants font grise mine… Quant à nous on observe un peu inquiets le comportement du chauffeur, visiblement un peu surmené, qui ne cesse de courir de droite à gauche pour rassembler divers objets et outils. Pas de miracle, c’est sur le toit de ce minibus-là que nos sacs finissent par être chargés… Petit à petit les passagers arrivent et commencent à s’installer, chacun à la place qui a été définie au moment de l’inscription, car apparemment la police ne rigole pas avec les contrôles d’identité… A la droite du chauffeur ont pris place deux jeunes du village, en survêtement, qui semblent bien le connaître. Sur le rang du milieu, s’est calée une vieille dame toute ridée, avec une belle robe colorée, un joli chapeau d’été à larges bords… et un énorme baluchon bariolé qui lui sert d’airbag entre elle et le siège du conducteur. 



Elle semble ne parler que le quechua, langue dans laquelle elle échange quelques mots avec son voisin, un afro-bolivien d’une quarantaine d’années, habillé à l’occidentale avec une magnifique casquette rouge. Je complète la rangée, heureux de porter mon chapeau d’Argentine, histoire de compléter la gamme des couvre-chefs.


Une sucette melon/noix de coco
Derrière nous Hélène et les enfants ne sont pas trop mal installés, s’il n’y avait, assis dans le coffre un vieux monsieur tout recroquevillé ! Il fait signe qu’il est très bien là et qu’il ne veut pas changer de place, et comme il n’a pas l’air non plus de parler espagnol, Hélène n’insiste pas…
Au premier abord nous semblons protégés par l’abondance de pendentifs religieux qui se balancent derrière le pare-soleil, mais cette impression est vite contredite dès que l’on porte le regard un peu plus bas. Suspendu à la commande de clignotant, se balance aussi un petit sac vert en plastique, qu’on commence à bien connaître : la réserve de feuilles de coca du chauffeur, où il ne cessera de puiser, battant tous les records de consommation observés depuis notre arrivée en Bolivie.
A peine sortis du village, ce ne sont pas les premiers cahots de la route qui nous font sursauter, mais la musique qui se met à sortir à plein régime de la seule enceinte en fonctionnement… située juste derrière l’oreille droite d’Anémone! On avait fini par s’habituer à circuler parmi les somptueux paysages boliviens sur fond de musique locale, mais en version discothèque c’est une première! Ce que tout le monde écoute ici est assez surprenant et plutôt sympa, c’est un mélange de folklore indigène et de variété pop, avec parfois des voix féminines très aigues qui font penser à de la musique japonaise, ou coréenne… 


Sécurité = Bien calés
Comme les autres passagers n’ont pas l’air du tout incommodés, on ne pipe mot, et on se cale du mieux possible en regardant défiler les décors de nos randonnées des jours passés : le canyon avec la cascade, la cité de pierre perchée tout là-haut, le site de la grande caverne un peu plus loin…
Petit à petit, suite à une nuit plutôt courte et à demi-bercés par les cahots de la piste pavée, on commence à s’installer dans un demi-sommeil, dans la perspective des cinq heures de route qui nous attendent. Enfin, qui auraient dû nous attendre… si notre truffi n’avait pas eu deux pneus crevés!



Au début on ne s’arrêtait que toutes les demi-heures environ. Le chauffeur venait alors ouvrir la porte latérale, qui pour nous rassurer un peu plus était bloquée côté intérieur, et tout le monde descendait pour aller chercher des pierres pour caler les roues, et se relayer à regonfler les pneus avec la pompe à main… sauf la vieille dame, qui ne cessait d’observer le ciel en marmonnant, et les gringos, un peu dubitatifs, se demandant si on n’allait pas finir par éclater un pneu dans un virage, par exemple à 150 mètres à pic au-dessus de la rivière… 



On aimait aussi moyennement voir le chauffeur sortir la tête par la vitre pour surveiller l’état des pneus, autant vers l’avant que vers l’arrière…


Ca gonfle... ça nous gonfle
Puis les pauses gonflage se sont faites de plus en plus rapprochées, jusqu’à ce que le chauffeur se décide enfin à sortir sa roue de secours… car il en avait une, et d’ailleurs en parfait état! Dans un gros village à mi-parcours, le groupe électrogène et le compresseur d’un garagiste nous ont regonflés à bloc, pendant que trois ou quatre femmes en profitaient pour aussitôt prendre d’assaut le minibus, proposant des barquettes de poulet-frite toutes chaudes et des jus de fruit conditionnés «à la bolivienne», c’est-à-dire simplement dans un petit sac en plastique transparent avec une paille : pas évident de boire jusqu’au fond sans percer le sac! 
Vendeuse de jus
Une fois repartis, le village dépassé et les sacs et barquettes vidés, chacun les balance par les fenêtres, le plus naturellement du monde... pendant que de notre côté, discrètement pour ne pas trop se faire remarquer, on remettait consciencieusement dans nos sacs les emballages de nos gâteaux secs!




On a fini par arriver quand même à Cochabamba, et par s’arrêter à la première «gomeria», qui nous réparera la roue de secours en 10 minutes, avec une pâte toute rose et toute magique. Et puis le truffi nous dépose dans une banlieue un peu éloignée, où se trouve le terminal des minibus pour Toro-Toro. 
On remercierait presque notre chauffeur de nous avoir rendus à demi-sourds dans notre discothèque ambulante, tellement le niveau sonore de la ville nous surprend, surtout après plus d’une semaine dans le silence des montagnes! Les voitures et les minibus klaxonnent presque en continu, les motos pétaradent, tout cela accompagné par les marteaux-piqueurs et les lapidaires! Affamés, on entre dans le seul petit resto du secteur, accueillis par le son de la télé qui est poussé à fond, sans doute pour couvrir les bruits de la rue...



Cochabamba, 3ème ville de Bolivie, 2500 mètres d’altitude, 1 million ½ d’habitants étalés dans une cuvette entourée de versants abrupts, n’a pas grand chose pour nous séduire. Les quelques restes de l’ancienne ville coloniale sont enfouis sous des constructions modernes complétement dépareillées. Les trottoirs sont sales des détritus laissés par le nombre incalculable de personnes qui mangent dans la rue, agglutinées sur les rebords des fenêtres, assises sur les marches des immeubles, amassées autour de minuscules stands de restauration…  Et quant aux rues, c’est la  plus totale cacophonie !



Conduite au klaxon, motos pétaradantes, aucun respect des passages  piétons… bref traverser la rue, surtout avec des enfants, vous garantit chaque fois une belle montée d’adrénaline… Je me surprends à me prendre le bec avec quelques automobilistes, tournant à droite, klaxonnant fort et s’arrêtant de justesse, furieux, devant un pauvre piéton traversant sur le passage clouté.



Pour couronner le tout, l’hôtel où nous logeons pour 2 ou 3 jours n’est guère accueillant, malgré son joli patio. Les toilettes sont (et resteront) bouchées, les robinets des douches vous envoient des décharges électriques et le petit-déjeuner est à la limite de l’incorrect…
Le soir de notre arrivée, on tente quand même une sortie. La seule jolie place de la ville est barricadée pour travaux !


Pratique ce trou pour admirer la place



Quoique un peu trop haut; Mais qu'y-a-t-il derrière ?...



Derrière la panneau, il y a ça !

Curieusement, il y a plein de jolies boutiques de fringues et Hélène se trouve un très beau jean en remplacement de celui détruit par la caverne de Toro-Toro. Il y aussi d’innombrables églises catholiques mais surtout protestantes (évangéliques). 



Parfois ce ne sont que de simples salles, et c’est très étrange, par moments, comment les puissants chants religieux parviennent à presque couvrir la cacophonie de la rue…

Finalement, on se retrouve nous aussi à manger des hamburgers dans la rue, attablés sur le trottoir, contemplant un peu ébahis toute cette foule buvant et se nourrissant dehors.

Savez vous qu'en 2002, Mac Do a été contraint de fermer toutes ses enseignes ? faillite suite à une campagne sur la malbouffe... Ce qui ne veut pas dire que les Boliviens n'apprécient pas les hamburgers; seulement les leurs!

Même si cette nourriture de rue n’est pas chère (autour d’un euro l’assiette de viande, de riz et de pomme de terre), le faire tous les jours et en famille doit quand même finir par plomber un budget, au vu des salaires de base pratiqués ici (200 à 300 euros). 



Sans doute, les gens mangent dans la rue parce que les minuscules chambres dans lesquelles ils sont logés ne leur permettent pas de faire la cuisine...
Le lendemain, on se rend à la gare routière, véritable but de notre séjour ici : réserver des places dans un bus pour La Paz, notre prochaine étape bolivienne. La gare routière est à l’image de la ville. C’est un bazar indescriptible qui ne ressemble à rien de ce qu’on a pu voir avant (et depuis trois mois, on en a vu des gares routières !). Heureusement que l’avenue qui la borde est large, car on ne peut s’approcher qu’en double ou triple file. 



Les abords sont saturés de taxis, de minibus, de quantités de vendeurs, de mendiants… et surtout d’une nuée de rabatteurs qui crient leurs destinations à la ronde comme des camelots, au ras de nos oreilles en nous regardant avec insistance. A l’intérieur se trouvent des dizaines de bureaux des différentes compagnies de bus. Ici les rabatteurs sont un peu moins nombreux, mais on continue à sursauter quand l’un d’entre eux, qu’on n’avait pas vu venir et qui s’était tu pendant quelques minutes, reprend brusquement sa litanie juste à côté de nous : «Santa Cruz, Santa Cruz, Santa Cruz a las cinco…  (Santa Cruz départ à 5 heures)!». Surtout qu'on ne va pas à Santa Cruz...
On finit par comprendre la règle de cette gare-là. Toutes les compagnies ne vendent leurs billets que le jour du départ, donc le seul intérêt de venir aussi tôt (hormis d’avoir traverser la ville dans un minibus Dodge spécial Bolivie)...


Beau comme un sapin de noël!
(...) est d’obtenir les horaires des différentes compagnies, sans aucune garantie d’avoir une place. Vu leur nombre (au moins une dizaine de départs pour La Paz le lendemain), on se dit qu’en arrivant de bonne heure, on trouvera bien quelque chose…


Ce taxi aime la couleur rouge
Sur les conseils d’un camelot, on négocie un taxi à 10 Bs (1,50 €), qui nous fait retraverser la ville pour nous déposer au pied du téléphérique qui va nous emmener... aux pieds du Christ ! En effet un gigantesque Christ blanc, bras ouverts, domine la ville du haut de ses 33 mètres : un par année de sa vie, soit 2 mètres de plus que celui de Rio de Janeiro !


Amen
Installé tout en haut d’une drôle de colline abrupte et sans construction, c’est sans aucun doute le plus beau spot de la ville. C’en est d’ailleurs la principale et à peu près la seule attraction, et effectivement ça vaut le coup : on a une vue à 360° sur la ville qui semble ramper à l’assaut des montagnes… au son d’une chanson d’Edith Piaf (La Foule), interprétée en espagnol par une vieille aveugle faisant la manche au pied du Christ, et qui a dû reconnaître notre nationalité...
La cantara
De là-haut, on contemple l’aéroport situé en pleine ville, là où nous avons atterri il y a dix jours, en provenance de Sucre: on se fait une grosse peur rétrospective en contemplant la dimension des pistes, ainsi que la proximité des sommets et des immeubles. Et d’ailleurs, l’avion que l’on voit se présenter, comme sortant des montagnes, commence par rater son atterrissage… mais heureusement sans se crasher! 


Vous voyez l'avion à droite, au-dessus de la ville?
Il réussit à reprendre de l’altitude, et à refaire un grand tour avant de revenir et d’atterrir, prenant cette fois la piste dans l’autre sens ! Comme c’est la même compagnie que nous avions prise, on se demande si ce n’est pas le même équipage (voir les photos prises dans la cabine sur les blogs des enfants, au départ de Sucre).
Tout autour du Christ, de nombreux avertissements  recommandent aux «amis visiteurs» de ne pas emprunter les escaliers, car les agressions y sont nombreuses. Très engageant ! Mais de toute façon les enfants sont fans du téléphérique !


Le Padre beaucoup moins
Puis on décide de rentrer au centre-ville à pied : longue balade sous un crachin presque breton, en se disant que bizarrement on commence à trouver cette ville attachante. Malgré le bordel ambiant, les gens sont plutôt sympas et drôles, assez chics tant moralement que dans leur façon de s’habiller. 


La récompense est une glace chez le roi de la crème glacée!
Même le personnel de l’hôtel commence à nous sourire, pour une fois qu'ils ont des Français qui ne font pas la gueule! L’insécurité annoncée est palpable mais pas angoissante et c’est sans crainte qu’on se promènera le soir en ville, marchant assez longtemps à la recherche d’un resto qui nous convienne. On se retrouvera sur une place d'église toute pavée, peuplée de jolies palmiers et de très laides colonnes en béton, et animées par une petite foule de jeunes boliviens: les uns répètent des chorégraphies, leurs enceintes branchées chez les commerçants alentours; les autres s'exercent inlassablement au vélo acrobatique, sans compter les nombreux couples de jeunes amoureux à se bécoter sur les bancs publics... 



Et comme il y avait quelques tables en terrasse parmi toute cette animation, on s'est posés là. Et on a bien fait, car c'était le quartier général des Argentins de Cochabamba! Ce soir-là, on a mangé argentin, dans un décor et avec un musique argentine, tout en parlant du pays avec la propriétaire, originaire de Mendoza… Chouette ambiance, avec les murs saturés de cadres et de photos, comme on avait aimé à Buenos Aires.
En vérité, ce ne sont pas toujours les villes qui semblent avoir le plus à offrir dans lesquelles on se sent bien...



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