Depuis
le départ nous alternons des moments de nomadisme avec des périodes plus
sédentaires, donc plus routinières, comme ces deux semaines que nous venons de
passer à Humahuaca. Mais la routine, dans le voyage, ça a du bon ! C’est
même indispensable pour qui veut un peu rencontrer les habitants.
Justement,
ça tombe bien, l’endroit où nous nous sommes posés se nomme «Tantanakuy Huasi»,
ce qui veut dire «Maison de la rencontre» en Quechua.
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La casa Tantanakuy |
Et en effet, autour des
quelques chambres d’hôtes, il y a plusieurs salles qui accueillent du cinéma,
du théâtre, des ateliers de musique et de tissage, une bibliothèque… tout cela
pour favoriser le développement et la transmission de la culture aborigène.
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Processions quotidienne le jour, pétards la nuit |
A
vrai dire, pour le moment, on a surtout perçu le côté festif (très festif, même!),
de la culture aborigène… Et c’est donc les yeux un peu cernés que j’émerge parfois
le matin, dans la cour, à moitié aveuglé par la lumière crue d’un soleil qui
vient d’apparaître au-dessus des montagnes, dans un ciel toujours bleu…
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Blue Sky |
Le
temps que je traverse la rue pour aller acheter du pain et des oranges à
l’épicerie, ...
...les montagnes sont déjà passées du gris au bleu-orangé.
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La rue face à la casa |
Mais quand
je ressors elles ont déjà viré au marron-rose, la même couleur que la terre
déjà poussiéreuse sur laquelle je marche : ici la rosée est un phénomène
inconnu, un mot intraduisible! Le vent et la nuit n’ont laissé que quelques sacs
en plastique supplémentaires, accrochés aux épines des arbustes qui bordent le
petit terrain vague d’à côté.
La
fille de l’épicière est gentille et matinale, on s’amuse chaque jour à essayer
d’améliorer ma prononciation de la «jota», ce son impossible qui fait qu’on ne
dit pas (rou)go, (jugo, c’est
le jus), mais (roucoulement
légèrement guttural)go… De jour en jour je sens une légère mais nette
amélioration, et puis au moins on rigole un peu pour commencer la journée,
c’est toujours ça de pris !
Après
les rituels du petit déjeuner et de la toilette, commence celui des cours.
Anémone est en sixième avec papa dans la salle commune, pendant qu’Albert est
en CE1 avec maman dans une des deux chambres. A la fin on fait un peu
d’espagnol, ils s’amuseront à le mettre en pratique pendant l’après-midi. A 13
heures au plus tard les crayons sont rangés et les trousses sont refermées. Ils
peuvent aller se défouler dans la rue, se mêlant aux enfants du quartier qui
eux aussi sortent de l’école, avec leurs blouses sous leurs manteaux pour les
filles, sous leurs vestes de jogging et leurs casquettes pour les garçons.
Si on
décide de faire la cuisine sur place, on ne ressortira pas avant 16 ou 17
heures, comme les gens du quartier. Après-manger, avec Hélène on passera un peu
de temps sur le blog, ou à préparer notre prochaine étape ou à se reposer.
Pendant ce temps les enfants partent explorer le quartier (la première
semaine), puis maintenant carrément toute la (petite) ville, où ils commencent
à être connus comme le loup… blanc, vu que des enfants blancs, il n’y en a pour
ainsi dire aucun, et pas un seul c’est sûr à se balader seul dans la rue !
Hier
ils sont partis avec 50 pesos (3€) en poche, en se donnant la mission de
trouver du vrai café pour nous, et une étoffe brodée avec les 4 symboles
eau-terre-feu-air, pour Anémone .
Ils
sont restés absents plus d’une heure, avant de revenir bredouilles, mais tout
excités, et il faut dire qu’il y avait de quoi : ils ont découvert une
«plaine de cactus» à moins de 300m d’ici, ainsi que deux nouvelles
micro-épiceries-tenues-par-des-mémés-super-gentilles, puis ils ont marché
jusqu’à la gare routière en traversant les deux marchés, et finalement ils se
sont achetés une bouteille de soda pour étancher leur soif dans une des petites
cantines où l’on mange de temps en temps ! Pas mal pour des niños gringos
au pays des Indiens!
Parfois
aussi on descend déjeuner en ville, par exemple chez Flavio, qui tient «El Cardon»
(le cactus), un resto à l’enseigne défraîchie, juste à côté du marché textile.
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El Cardon |
Chez
Flavio, c’est 50% de cuisine andine, délicieuse mais limitée (tamales et
humitas, et basta!), et 50% de cuisine argentine standard, la même qu’à Buenos
Aires, tout aussi limitée mais moins délicieuse (empanadas, poulet-frites,
steak à la milanaise…). Et tout cela accompagné de l’inévitable Fanta Orange,
peut-être un peu moins toxique quand même que le tristement célèbre Agent
Orange !
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Avec Flavio |
Ce
qui est sûr, c’est que notre voyage intrigue beaucoup Flavio. On répond bien
volontiers à toutes ses questions, et de son côté il nous raconte avec plaisir
les nouvelles du pays, il nous explique les processions, il nous conseille des
fêtes locales… bref au bout d’une semaine on est chez lui comme à la maison.
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Chez Flavio |
On
traîne souvent à table après manger, pendant que les enfants jouent dehors
autour du marché : en sirotant un café on écrit des cartes postales, on
prépare notre futur séjour en Bolivie…
Ensuite
on a toujours quelques courses et des démarches à faire en ville.
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La Poste |
Par exemple
aller à la Poste (car en Argentine il n’y a pas de boîtes aux lettres), ou bien
à la gare routière, pour acheter les billets de notre prochaine excursion vers
le désert de sel.
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La gare routière |
Ah, les gares routières, comme on aime ces endroits ! Il
y a toujours plein de monde, ça brasse tous les âges, toutes les races, et
presque toutes les classes sociales! Et puis on peut comparer les bus des différentes
compagnies, rêver sur le super-bus à deux étages qu’on va peut-être prendre
pour aller jusqu’à la frontière bolivienne…
En
plus, il y a une incroyable brochette de mamies, habillées comme sur les cartes
postales, avec devant chacune d’elles un assortiment à tomber par terre de jus
de fruits et de petits gâteaux maison, et à chaque fois, pour 1€ chacun, on
achète de quoi se faire un super-super-goûter. On ira se le déguster
tranquillement dans le petit parc juste en face, tout plein de jeux pour enfants,
sous la protection de «Sainte Evita».
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Evita et les enfants |
Voilà
l’après-midi bien avancé, il est temps d’entamer la lente remontée vers notre
perchoir au-dessus de la ville, le nez au vent qui commence à descendre des
hauteurs. Et comme aucune rue n’est goudronnée, l’air est vite saturé de
poussière ocre. C’est joli dans le soleil, mais ça doit l’être un peu moins
dans nos poumons, et c’est sans doute la raison pour laquelle on voit de temps
en temps des habitants qui portent des masques.
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La place centrale |
Pourtant à cette heure toutes les
boutiques sont ouvertes, et les rues commerçantes sont colorées de toutes
sortes de tissus déballés le long des trottoirs.
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Le marché coloré |
Il y en a toujours une qu’on
n’a pas encore faite, on flâne, on chine, mais on évite de trop se charger car
le nomadisme, même à mi-temps, nécessite de voyager léger!
Aujourd’hui
on traîne moins que de coutume, car on a rendez-vous avec Mr Ramoneda, le fils
d’un des grands peintres argentins du siècle dernier, qui curieusement a
passé
ici toute la seconde partie de sa vie.
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Chez Monsieur Ramoneda |
On pénètre dans le magnifique patio
d’une antique maison coloniale, avec son puits en pierre, conservée «dans son
jus» depuis près de deux siècles. Mr Ramoneda, un monsieur déjà très âgé, a
dédié trois des pièces de la grande maison aux œuvres de son père, une bonne
cinquantaine de toiles et de dessins, qu’il nous commente une à une. C’est un
moment très émouvant, complètement hors du temps, on navigue une centaine
d’années en arrière, à faire des allers et retours entre les cafés artistiques
de Buenos Aires, et la vie quotidienne des indiens au milieu des années 1930,
magnifiquement portraitisés par l’artiste.
C’est
étonnant aussi de voir qu’aucun système de surveillance ne protège ces
tableaux, alors que certains reviennent tout juste des plus prestigieux musées
de la capitale. Ici, deux planches appuyées contre la porte d’entrée servent de
verrou, depuis au moins 50 ans! Magie de
cette ville qui nous paraît si différente, alors qu’on devrait juste trouver
cela normal…
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L'enseigne du salon de coiffure |
On
quitte Mr Ramoneda pour rentrer chez son voisin, le coiffeur, qui doit
s’occuper de moi.
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Le salon de coiffure |
Là aussi, sur les murs il y a des images, mais pas tout à
fait les mêmes : des posters de pin-up, exactement de la même époque que
l’ensemble du mobilier, c’est-à-dire fin des années 1970-début des années 1980,
décorent la pièce.
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La pin up de 1989 |
Albert est particulièrement sensible à celle qui pose avec
un maillot de Boca Juniors… Je ressors avec une super coupe de cheveux, tout à
fait moderne, totalement en contraste avec le lieu.
Un artiste, ce vieil indien
chauve à lunettes, et à la main qui ne tremble pas !
On
continue à remonter, toujours face au vent qui va en se renforçant. Quand on
longe le monumental Monument de l’Indépendance, dominant la ville du sommet de
sa colline artificielle, on sait qu’on aborde la dernière partie du parcours,
mais pas la plus facile.
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Monument de l'indépendance |
Finis les pavés et finies les pentes douces, ça grimpe
dur jusqu’à la maison! Et à plus de 3000 mètres, même au bout de 15 jours et un
taux de globules rouges au top, on arrive toujours à bout de souffle, sauf les enfants
évidemment qui nous narguent en grimpant en courant…
Heureusement
il y a nos quelques épiceries habituelles qui jalonnent la montée, au moins une
tous les 50m, et on s’arrêtera bien trois ou quatre fois : dans l’une pour
les fruits et légumes, dans l’autre pour l’eau, le chocolat en poudre et le
dentifrice, dans une autre enfin pour le lait et les yaourts…
Le
soir, après dîner, on commence à prendre l’habitude de discuter sous la lune
avec Gaston (prononcer Gastone), le gars qui occupe la chambre voisine de celle
des enfants, un jeune pédiatre en poste pour trois mois dans le petit hôpital
de la ville. Il vient de Rosario, une ville pas très loin de Buenos Aires, soit
près de 1500 km au volant de sa petite Ford K! C’est un grand voyageur, il
connaît parfaitement toute l’Amérique latine, jusqu’à Cuba et au Mexique. Et
comme il vient découvrir l’Europe cet hiver, on s’échange des adresses et des
bons plans. Il nous ouvre de nouvelles perspectives pour la traversée du Brésil,
qu’on pourrait effectuer en grande partie sur un des bateaux qui descendent le
fleuve Amazone, depuis Manaus… Mais c’est une autre histoire!
Demain
aussi en sera une, car ce sera samedi, et le samedi on casse la routine! On a
prévu d’aller à la découverte des Salinas Grandes, un désert de sel perché à 4
OOO mètres d’altitude.
On
est donc de bon matin à la gare routière. Aujourd’hui on voyage avec «EVELIA»,
une compagnie moyenne gamme : ses bus sont beaux mais n’ont qu’un seul
niveau, alors que chez les compagnies plus luxueuses il y en a deux, celui du
bas accueillant une trentaine de sièges-couchettes qui font rêver les enfants.
Moins glamour, pour commémorer l’anniversaire de la mort du fondateur de la
compagnie, des petits cadres avec une cravate noire sur fond blanc décorent les
bureaux.
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Bercé par le car |
On est
bien placés, au deuxième rang. Juste derrière le chauffeur au costume
impeccable, s’installe un jeune métis «rastaméricano», avec sa flûte de pan et
son charango (toute petite guitare 10 cordes). On aura droit à un petit concert
pendant les trente premiers kilomètres, plutôt bien fait. A la fin de chaque morceau tous les
voyageurs, des locaux pour leur immense majorité, applaudissent
consciencieusement. Puis le gars passe faire la manche avec son bonnet, et là
encore tout le monde participe, même si ce n’est que pour un ou deux pesos…
Le
car fait un crochet pour nous déposer à Purmamarca, avant de continuer vers Jujuy,
la capitale de la province.
Purmamarca
est un gros village hyper-touristique, grâce à une jolie montagne (dite «des 7
couleurs»), d’une part, et d’autre part parce que c’est le point de départ pour
les Salinas Grandes. Au cœur du village des chauffeurs de minibus rabattent les
touristes, et quand ils ont réussi à en trouver 15 pour remplir leur véhicule,
en route! On fera le voyage dans un Renault plutôt récent,...
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Même la municipalité roule en R12 |
... avec une dizaine de
jeunes gens aisés venus de Buenos Aires découvrir le «Norte Argentino». La
route est évidemment somptueuse. On passe un col à 4 500m, avant de redescendre
un peu et, très vite, d’apercevoir une immensité blanche, toute plate au milieu
des montagnes : le Salar.
Plutôt
que de dire des bêtises, laissons nous guider par le guide (du Routard) :
«…les conditions sont toutes réunies pour engendrer ce phénomène
géologique : de hautes montagnes captent les pluies, une forte activité
volcanique charge en minéraux ces eaux de ruissellement, et les fait remonter à
la surface d’un haut plateau sous forme de lagune.
Ajoutons une bonne
évaporation due à la chaleur tropicale, et on obtient un désert de sel, un
salar. De ces «lacs de sel», on extrait principalement du salpêtre, de l’iode,
du magnésium, du chlorure de sodium (du sel, quoi !), mais aussi du
lithium, élément indispensable aux batteries qui équipent notamment vos
ordinateurs et téléphones portables… C’est dire si les grandes sociétés
minières mettent tous les moyens en œuvre pour en obtenir l’exploitation(…). A
droite de la route, une maison..
A y bien regarder, les murs sont en sel.
Tout autour, l’exploitation, avec ses ouvriers empaquetés dans des étoffes pour
se protéger de la réverbération. Avec aussi ses alignements de bassins emplis
d’une eau qui prend de beaux reflets bleus.»
Rien
à ajouter, sinon qu’on s’est bien amusés avec l’appareil photo, et qu’Albert a
réussi je ne sais comment à décrocher une plaque de sel, joli butin qu’on
ramène précieusement dans notre sac à dos !