C’est cool, l’Uruguay !
En
face de Buenos Aires, sur l’autre rive du Rio de la Plata, le vaste delta qui
récupère une partie des eaux de l’Amazonie pour les emmener dans l’Atlantique,
c’est l’Uruguay. On a décidé d’aller y faire les curieux pour deux jours, un
peu comme des vacances à l’intérieur des vacances…
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Les premiers navigateurs se sont fait mangés tout crus...
enfin peut-être cuits! ça doit être plus facile à mastiquer. |
On
débarque à Colonia del Sacramento, une destination prisée des Argentins, autant
pour aller se baigner que pour changer leurs pesos en dollars. Mais nous sommes
en plein hiver, en plein milieu de la semaine, et les touristes sont rares…
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Ouh, Ouh, où vous êtes cachés? |
Cela
nous fait tout drôle de marcher dans des rues pavées, presque désertes, bordées
de maisons basses très anciennes, sans panneaux publicitaires tous les 10
mètres, sans enseignes lumineuses, sans entendre en permanence en fond sonore
le roulement trépidant des bus et des camions, sans non plus de crottes de
chiens sur les trottoirs.
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Buen Dia, el perro! |
Pourtant, on chemine parmi des chiens en liberté d’une totale décontraction, au milieu d’une
incroyable collection de voitures antiques laissées un peu partout en déco le
long des trottoirs, certaines transformées en mini terrasses de restaurant.
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Installez vous! |
Après trois semaines de Buenos Aires et juste une heure de traversée, le
dépaysement est total.
Brusquement
un air de zumba envahit la rue, le son est très fort et la musique hyper
entraînante, impossible de ne pas se déhancher en marchant. Un pick-up remonte
la rue à 15 à l’heure, l’arrière chargé à ras bord de grosses enceintes, qui
diffusent les messages publicitaires des commerçants de la ville entre des
intervalles musicaux (ou l’inverse…). Puis il disparaît lentement au bout de la
rue, et la grande quiétude reprend ses droits.
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El kéké! |
Bon, on recommence à marcher
normalement, le chant des oiseaux c’est bien aussi.
On
avait trouvé les Argentins plutôt cools, mais ici attention, c’est du
lourd ! Pourtant, mis à part une plus grande proportion de rastas, de
babas cools, de buveurs de maté et de vieux routards reconvertis dans le
tourisme, la population ne diffère pas beaucoup. Ni en terme vestimentaire, ni
en couleur de peau. Non, ce qui change,
c’est l’attitude : les gens sont à la fois concentrés et hyper zen,
détendus sans pour autant être des légumes. D’ailleurs la rue est propre, les
maisons sont belles et, bien que très anciennes, joliment entretenues.
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una calle |
Il y a
des arbres, des grands cactus, de jolies enseignes. OK c’est touristique, mais
avec un mélange de soin et de laisser aller très séduisant, qui me fait penser
à mes chères iles bretonnes.
On
atterrit à « El Viajero » (Le Voyageur), sorte d’auberge de jeunesse
dont la devise est « Turista ?
No, viajero ! ». Belle maison coloniale avec patio, plein de
recoins, de carrelages, de terrasses en cascades… C’est beau mais pas trop, pas
trop cher non plus… et il y a une cheminée ! L’Uruguay c’est cool, mais ça
caille aussi, et la maison n’a pas de chauffage. Les enfants font le feu avec
Antonieta, la jeune fille aux dreads serrés dans un turban, qui assure aussi l’accueil,
tient le bar, et fait le maté et le petit déjeûner… Notre premier feu
d’eucalyptus !
On fête ça autour d’une bonne bière et de batailles navales
sans pitié, avant de sortir dans la rue. Autre différence avec l’Argentine,
l’Uruguay est réputé comme un des pays les plus sûrs du monde, et c’est vrai
qu’on se balade de nuit sans le moindre sentiment d’inquiétude, ce qui ne nous
était pas arrivé depuis un moment.
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El Drugstore, de noche |
Au
restaurant « El Drugstore », après que le chanteur de la soirée ait
interprété « Clandestino » de Manu Chao pour faire plaisir aux
Français, l’addition est présentée dans quatre monnaies différentes : peso
uruguayen, peso argentin, réal brésilien, et dollar ! Le pays mérite bien
son surnom de « Suisse de l’Amérique Latine ». Ici on peut payer la
même note avec plusieurs monnaies différentes, tout le monde a un convertisseur
à jour dans la tête ! D’ailleurs je m’aperçois que je suis en train de
devenir un vrai « argento-uruguayen », avec dans mes poches des
euros, des dollars, et des pesos des deux pays. Excellent pour le calcul
mental…
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la cocina |
A
côté du resto on visite le « musée de l’humour », création d’un
artiste local. Coup de bol, aujourd’hui c’est gratis ! C’est une
magnifique maison coloniale, inondée de dessins et de peintures à la Andy
Warhol, de scènes de la vie quotidienne totalement kitsch avec un humour au 3ème
ou 4ème degré, de courts métrages délirants projetés un peu partout,
un film opéra du Cirque du Soleil, des jeux videos détournés, un salon où l’on
peut se prendre en photo à côté de quelques figures de l’histoire contemporaine
locale, découpées dans de grands cartons : Francisco (le Pape François,
Argentin), Eva Peron, et bien sûr… Pepe Mujica.
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Dos hombres grandes |
Son
nom ne vous dit peut-être rien, mais c’est une icône vivante dans toute
l’Amérique latine. Uruguayen, ancien fleuriste, ancien guérillero communiste,
il a passé plus de 12 ans en prison, sous la dictature, dont 2 au fond d’un
puits, torturé quasi quotidiennement. Devenu Président de la République
d’Uruguay en 2009, il laisse un bilan exceptionnel, dans tous les domaines. Il
a réussi à sauver les banques uruguayennes, accusées d’évasion fiscale à
l’échelle mondiale, tout en rendant des terres aux Indiens et aux petits
producteurs, à lutter efficacement contre le narcotrafic en
« nationalisant » les drogues douces, à pacifier le pays tout en
légalisant le mariage gay, le changement de sexe, l’avortement… Dans le même
temps il refusait de s’installer dans le palais présidentiel, pour demeurer
dans sa fermette de « campesino » et continuer à rouler dans sa
vieille coccinelle.
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voiture présidentielle (avec le Président à l'intérieur) |
Parlant peu, souvent par images, extraordinairement bien
entouré, faisant régulièrement la une des plus grands journaux des deux
Amériques, il est aujourd’hui retourné à ses légumes bio et à l’université
rurale qui se trouve de l’autre côté de son terrain…
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El ex Presidente |
Bref, un personnage énorme, inclassable, un
guerrier vêtu comme un pecno, un immense orateur parlant peu et mal, un
visionnaire à grosses lunettes, totalement inimaginable dans le monde
occidental… A son départ des dizaines de milliers d’Uruguayens l’ont accompagné
à sa sortie du palais présidentiel, tous en larmes tandis que la Coccinelle
s’éloignait… Je parle de lui avec Antonieta. Elle ose à peine me répondre,
comme si cela ne lui aurait pas fait plaisir qu’on l’encense. Elle me dit
simplement, très émue, en baissant la tête et en me faisant comprendre qu’elle
n’avait pas envie d’en parler davantage : « es una persona muy
humilde » (c’est une personne très humble).
Un
dernier mot sur le bonhomme. A un journaliste lui demandant ce qu’il allait
faire après la présidence, il répondit : « ce que font toutes
les vieilles personnes de mon âge : donner des conseils dont tout le monde
se fout… »
Le
lendemain on se lève de bonne heure pour aller prendre un bus qui part vers
l’intérieur du pays, histoire de voir un peu de verdure. Sympa, la campagne
uruguayenne, un peu entre le Mexique et la France. Il y a des vaches, des
cactus, des vignes, des palmiers, des gauchos, des pick-up.
On s’arrête à
Carmelo, une petite ville tranquille, au bord du fleuve. On se balade un peu au
hasard dans les rues. Les voitures roulent toujours aussi lentement, d’ailleurs
il n’y a ni panneaux de signalisation, ni passages piétons.
De temps en temps
une charrette déboule d’un carrefour, tirée par deux chevaux, menée par un
indien debout, le fouet levé, doublant un cycliste en tenue « Tour de
France », on en a même vu un avec le maillot jaune. Beaucoup de pick-up,
flambant neufs ou carrément décatis, mais aussi, fierté et nostalgie, une
panoplie de 504 et de R12…
En bas de la ville il y a le port fluvial qui permet
d’envoyer des marchandises vers le nord (Paraguay, Brésil), ou le sud
(Argentine). Quelques grosses bodegas y entreposent leur vin, avant expédition.
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Le port de Carmelo |
Certaines portes de hangar sont entièrement peintes, de grandes fresques
illustrent la vie aux champs, mais souvent aussi l’histoire locale, la guerre
d’indépendance, les anciennes tribus indiennes…
Sur
la grande place, autour d’un immense conifère qui a dû être planté le jour de
l’indépendance, il y a deux cents ans, on se fait une partie de freesbee avec
les enfants. Quelques-uns ramassent en souriant l’objet lancé un peu trop loin,
mais personne n’ose le relancer, ce drôle de cercle fluo volant.
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La plazza de Carmelo |
Retour
à Colonia, quelques heures à perdre avant de reprendre le bateau. On décide de
chercher une plage, malgré le vent glacial. On en trouve une à 500m de
l’embarcadère, derrière une voie ferrée désaffectée, coincée entre un entrepôt
de matériaux de construction et un petit bidonville, à l’ombre d’une grande
tour d’habitation. Mis à part quelques déchets et une carcasse de bateau toute
rouillée, l’endroit est agréable, la plage est absolument déserte, le sable est
magnifique, le Rio est si large et si salé qu’on se croirait au bord de la mer,
juste la couleur de l’eau –marron rouille-, nous rappelle que ce n’est pas
encore l’océan !
Hors
de question de se baigner, il fait trop froid, sauf que j’envoie
malencontreusement le freesbee un peu trop loin…
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N'importe quoi les touristes! |
Les habitants de l’immeuble
ont dû bien se marrer en voyant ce touriste en caleçon et en pull, tâtant le
fond de l’eau du bout du pied, forcément trempé jusqu’à l’entrejambe à la
première vaguelette scélérate, au grand plaisir des enfants… si jeunes et déjà
sans cœur ! Peine perdue, évidemment. On se rabat sur l’activité château
de sable.
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Land art... |
Belle création, on laissera une œuvre contemporaine intéressante,
mêlant art naïf et réutilisation des déchets, avec une nette prédominance des
pelures d’orange et de banane, en totale rupture avec les vieilles bouteilles
de soda déformées par les vagues et les UV.
Dans
un dernier élan d’extra lucidité, Hélène réussira à apercevoir le freesbee à
travers les eaux troubles, et c’est victorieux que nous repartons vers notre
ville tentaculaire.
Il a
beau être un peu gelé, mon petit doigt me dit qu’on reviendra faire un petit
tour dans ce pays…