dimanche 30 août 2015

Buenos Aires Anémone N°4


Près de chez nous, il y a une petite épicerie tenue par un Dominicain et sa femme péruvienne. Ils ont un petit caniche noir qui s'appelle "Blacky". Il était trop mignon la semaine dernière avec ses poils bouclés, mais hier il était tondu et tout moche (ici c'est l'été qui approche). La dame nous a montrés sur son portable une vidéo de la fête qui a lieu tous les ans dans son village, au Pérou. On y voit son oncle (son "tio") en tenue traditionnelle, jouer de la musique dans un instrument fait de plusieurs cornes de bélier mises bout à bout...impressionnant!
Elle nous a aussi appris qu'en Argentine les toreros ne tuent pas les taureaux, mais ils les fatiguent seulement, alors qu'en Espagne ils les tuent.


A Buenos Aires il y a plus de 40 000 taxis, tous noirs et jaunes, qui circulent jour et nuit dans toute la ville. Nous avons de la chance car nous tombons toujours sur des chauffeurs drôles et sympas. 



La première fois, en rentrant d'Uruguay, nous avons eu un chauffeur qui aimait bien la France. Il nous a passé Johnny Halliday et Patricia Kaas! Quand mon père lui a parlé de Manu Chao, il a aussitôt appelé sa femme sur son portable, tout en conduisant, pour lui demander de lui enregistrer. Comme elle ne trouvait pas, il s'est mis à crier tout en articulant "MANU CHAO". 



Avec mon frère ça nous a bien fait rire!


Tiens une vidéo de moi au cirque. C'est mon frère qui filme.




samedi 29 août 2015

Buenos Aires Albert N°4

Cette semaine on est allés à Tecnopolis.

Entrée de Technopolis. Tout y est gratis

Il y avait des dinosaures en vrai grandeur, des faux évidemment mais qui bougeaient la tête et la queue et qui criaient. Un diplodocus, un tricératops...


 J'ai fait du trampoline, puis un labyrinthe très dur à trouver, et aussi un parcours avec des chemins en corde, comme font les indiens. 


On est rentré de nuit, d'abord à pied, puis en bus, et pour finir en taxi!
Dans le square, en jouant au foot, je me suis fait un copain colombien qui s'appelle Juan. Il a dix ans mais il fait ma taille, il a les cheveux longs et il joue bien. Sa mère est trapéziste de cirque professionnelle.

les enfants en tenues
Dans un marché on a vu des Gauchos, qui sont les cow-boys d'Argentine.

El mayor gaucho
 Ils montent sur leurs chevaux et les lancent à fond, ensuite ils sortent leur poignard en tenant le cheval d'une seule main, et en lançant leur cri ils essayent de mettre leur poignard au milieu d'une toute petite bague à plusieurs mètres de haut. 

la course

Le poignard rangé dans la ceinture. 
Il le tient entre les dents pour faire la course!
Si on ne l'a pas vu on croit que c'est impossible. Tout le monde applaudit quand ils réussissent.
Le matin, comme ma mère était à ses cours d'espagnol, c'est mon père qui m'a fait l'école. J'ai fait des dictées, des additions et des soustractions, et j'ai appris le Corbeau et le Renard, de Jean de la Fontaine.

Pff, l'école n'a même pas commencé en France!




Enfin, dimanche dernier, on a passé l'après-midi au "Museo de los Ninos" (le musée des enfants). C'est dans un centre commercial qui est immense, il fait un cuadra à lui tout seul. En bas il y a des boutiques, des restaurants, c'est très beau, ensuite on prend de très grands escalators et tout le haut est réservé pour le museo de los ninos, sur plusieurs étages. C'est une ville en modèle réduit, où tout est à la taille des enfants, et on peut jouer à tout. J'ai conduit une grue, j'ai filmé une émission de télé où ma soeur jouait la présentatrice, j'ai fait des courses dans un supermarché avec Anémone qui était à la caisse, j'ai préparé un repas dans un Mc Do... 

jeudi 27 août 2015

Tango, la Boutique de l'Ange

Vu de France, Buenos Aires, c'est le tango. Ce n'est pas un mauvais business, d'autant plus que la ville n'a pas grand chose d'autre à vendre à l'échelle planétaire, mis à part son "lesbian and gay friendly", qui à lui seul attirerait 20% des touristes. Il y a bien quelques autres incontournables, mais plutôt à l'échelle locale, c'est-à-dire, vu d'ici, à l'échelle de l'Amérique Latine.

profil d'Eva Peron & Obélisque de la 9 de Julio


Par exemple Eva Peron fait toujours battre les coeurs, mais ce n'est pas non plus Nelson Mandela. Les Japonais ne viennent pas non plus ici juste pour voir jouer River Plate ou Boca Juniors, comme ils le font pour le FC Barcelone et Lionel Messi (Ah, celui-là! Encore un enfant du pays parti courir la gloire en Europe, imité par le pape Francisco!).

Anémone & Messi
Quant à l'Obélisque de la "9 de Julio", l'immense artère qui déchire le centre ville, grande fierté locale, ce n'est pas non plus la Tour Eiffel ni les Champs Elysées. Il y aurait bien José Luis Borgès, un des monstres sacrés de la littérature mondiale, mais il est à peu près illisible pour le commun des mortels (essayez: on voit tout de suite que c'est génial sauf qu'on ne comprend rien...).


Jose Luis Borges
Reste donc Carlos Gardel. Effectivement, il a le bon profil. Beau gosse, look moitié espagnol moitié italien, tous les fondements de l'identité locale! Pour couronner le tout né en France, grandi à Buenos Aires, il incarne les heures de gloire de la ville, dans les années 1920-1930, quand elle ressemblait tant à Paris... et que le monde entier découvrait le tango.



Gardel, enfant des quartiers modestes de Buenos Aires, devenu une des premières stars internationales, a inventé le tango chanté, et a contribué à créer la légende d'une ville mythique, pleine d'amours impossibles sur fond de docks brumeux où débarquent des immigrants pleins de rêves et de sueur. On dit par chez nous qu'il faut mourir jeune pour faire un beau saint, et voilà qu'il meure en pleine gloire, à même pas 40 ans, dans un accident d'avion, laissant tout un pays en pleurs.



Ici Gardel est partout, comme Maradona. En dessin, en peinture, en statue, graphé sur les fresques devant lesquelles dansent des couples en tenue, à San Telmo ou à Boca. Il illumine aussi les enseignes des "tango shows" et il est évidemment en première page des brochures pour touristes. Et comme par hasard, voilà qu'on débarque en plein "Mundial del Tango", qui fait se frotter les mains des "posaderos" (loueurs de chambres meublées chez l'habitant).



Sauf que nous, pauvres ignorants, en arrivant ici on savait à peine que le tango, ça ne faisait pas que se danser. Et puis on a vite compris aussi que la culture locale, c'est plutôt cirque, manga, zumba, jazz et musique électronique...



Pourtant c'est vrai que ça ne manque pas de gueule, les pas de tango incrustés dans les trottoirs, rouge pour la femme et noir pour l'homme, et qu'il est beau le restaurant qui les borde, avec ses boiseries et ses cuivres, ses serveurs à la parisienne et sa jolie enseigne (en français dans le texte) "la boutique antique"...






Mais, comment dire, ça sent un peu le réchauffé, les vieilles gloires. C'est pas kitsch pour un sou, pas guindé non plus, mais on voit tout de suite que c'est pas là que les jeunes mecs du coin emmènent dîner leur chérie, et depuis longtemps...
Et comme on se la joue "couleur locale" et pas "couleur dollar", on avait presque fini par en faire un défi, de vivre un mois à Buenos Aires en zappant le tango.



C'était sans compter sur la "Botica del Angel". A côté de chez nous, juste devant l'arrêt du colectivo 23 qui va au centre ville, il y a ce truc bizarre. Une grande façade néo-gothique avec des bas-reliefs représentant une armée de petits anges, entièrement peinte en gris métallisé bien pétant, coincée entre le Chinois et la serrurerie, avec ce titre mystérieux peint en blanc "la Boutique de l'Ange".



Grande porte vitrée et fumée à deux battants, et derrière les inévitables types en uniforme, qui font que tu ne sais jamais si tu as affaire à une banque, à un musée ou à un hôtel. Une fin d'après-midi je décide de pousser la porte. Ici, la bonne question pour justifier sa curiosité de touriste, c'est de demander si c'est un musée, et si on peut visiter. Le gardien, comme d'habitude, est baraqué et charmant.
La réponse est charmante aussi, mais pas trop carrée. Je comprends que c'est bien un musée, enfin pas vraiment mais un peu quand même, et que c'est ouvert quand il y a des manifestations. Il me donne deux flyers en couleur, le premier pour un spectacle de tango le soir-même, le second pour une foire aux vins bio trois jours plus tard!


Je jette un oeil autour de moi : c'est de la folie, je n'ai jamais vu ça. Tout, absolument tout, des murs au plafond (à plus de 6 ou 7 mètres de haut) est peint en bleu ciel, et rempli pour une moitié de moulures et de statues d'angelots en plâtre, blanches, et pour l'autre moitié de tableaux, de photos, d'affiches et d'extraits de chansons, le tout sur-éclairé par une myriade de petites ampoules. En réalité c'est une ancienne chapelle reconvertie en temple du tango. C'est totalement kitsch pour le coup, et fascinant en même temps, hyper-chargé, pas un seul mètre carré pour se reposer les yeux, le tout semblant tout droit sorti du pressing, tellement c'est clinquant. 
A la maison je regarde le flyer. Terriblement banal. Une femme d'un certain âge, belle, un peu floutée comme si elle était en mouvement, une brune vêtue de rouge... qui s'appelle Alba Morena et qui se produit à 21 heures. C'est pas cher (ici la nourriture de l'esprit ne vaut rien à côté de celle du ventre, c'est-à-dire à peu près tous les concerts entre 5 et 10 euros), c'est pas loin, et c'est l'occasion de mettre une croix finale dans la case tango, d'autant qu'on n'a rien de prévu ce soir.
Un petit effort d'habillement (le tango, c'est class!), et nous voilà partis. Grand sourire du gardien, content d'avoir recruté quelques clients. On déambule dans ce qui était la nef, des photos d'époque, des calicots avec de grandes phrases définitives comme on les aime ici, du style "El tango, es alegrarse de estar triste" (le tango, c'est être heureux d'être triste). Des toilettes tout droit sorties des années 1920, avec cuvettes et robinets d'époque, un petit bar du même style où l'on offre le café en attendant le début du spectacle. On s'étonne de voir les quelques spectateurs habillés à peine mieux que dans la rue, c'est-à-dire n'importe comment. Peu de monde, quelques dizaines de personnes, la cinquantaine pour les plus jeunes. Soudain le grand rideau noir derrière nous s'ouvre et découvre la salle, l'ancien choeur de la chapelle transformé en mini-amphithéâtre!



De chaque côté deux escaliers en marbre, avec leur rampe en fer forgé peinte en noir et or, permettent d'accéder aux petits balcons, sur deux niveaux, le tout également surchargé d'angelots et d'icônes du tango. Au plafond, sur le fond bleu, une multitude d'étoiles blanches, avec écrite sur chacune le nom d'un chanteur ou d'un musicien. Une jauge d'à peine 100 personnes, mais la plus belle salle de concert que j'aie jamais vue! Sauf qu'il faut traverser la scène pour aller s'assoir, et on comprend vite qu'on ne pourra plus sortir une fois que le concert aura débuté!
Les gens prennent leur temps pour s'installer, visiblement des habitués. Le rideau se referme.  Un grand monsieur bedonnant et souriant, tout de noir vêtu, vient dire quelques mots de bienvenue. Une allusion rapide aux portables, mais qui semble superflue, d'ailleurs il n'y aura aucune sonnerie ni aucun flash de toute la soirée. Des habitués, je vous dis! Le monsieur en noir est très applaudi, et la lumière s'éteint doucement. L'éclairage sur la petite scène arrive en douceur, en même temps qu'un vieux monsieur bien habillé, avec une écharpe noire sur son pull jaune, vient s'assoir sur une chaise devant un micro, sur le côté de la scène. Suivent le guitariste et le bandonéoniste, deux jeunes gars en jeans, baskets et chemise noire. Puis c'est l'entrée de la chanteuse, très applaudie. L'ambiance est sympa, détendue et concentrée, on se croirait un peu à Saint Germain des Prés dans les années 60.
Petit discours d'introduction de la chanteuse, on a l'habitude de comprendre un mot sur 10 donc on attend tranquillement la suite. Lumière sur le vieux monsieur. Il se met à lire un texte, un genre de poème en prose, qui parle de Buenos Aires, de brume sur le port, de tristesse et de regrets, de moments qui s'enfuient. Silence. Le bandonéon se lance avant la fin du texte, lancinant, lent, incisif, toujours en rupture, avec une grande économie de geste et d'expression du musicien, vite rejoint par le guitariste, virtuose lui aussi, c'est une évidence. Le vieux monsieur s'arrête. Les notes sont rares mais le rythme omniprésent, les portes de la perception sont déjà ouvertes quant le chant arrive.
La voix de la chanteuse est grave mais pas triste, elle chante dans un vrai micro avec un fil, c'est juste, c'est juste et beau, elle touche l'endroit du cerveau directement relié à des codes dont on n'a pas les clés, mais qu'on devine enfouis dans l'inconscient de cette ville, quand elle inspirait encore les poètes. Les moches tours du port disparaissent, les vieilles ruelles renaissent, pourtant ce n'est pas du vieux, c'est du sentiment qui n'a pas d'âge, c'est de la nostalgie d'activiste.
Applaudissements, encouragements plutôt. Le vieux entreprend un nouveau texte, service minimum au niveau des effets, il n'est pas là pour faire l'acteur. Pareil pour la musique, j'aime bien les artistes qui n'ont pas peur du silence. Le gars au bandonéon joue avec le vide, c'est un funambule. La chanson suivante est plus entraînante, le public frappe le rythme avec ses mains, seulement le refrain, le reste on le laisse aux virtuoses. La chanson ondule comme les bateaux qui amenaient les immigrants, la guitare se fourvoie dans les estaminets douteux, se lâche comme on sort de sa triste condition humaine, et que la voix monte, monte, jusqu'au bout de la nuit, quand la famille est restée en Europe et que sur nos épaules dansent nos enfants... et un avenir que personne n'a encore écrit à notre place!



Vers le milieu du spectacle la chanteuse a présenté quelques personnes qui étaient dans la salle, des compositeurs, des auteurs, belle ambiance, on finissait presque par se demander ce qu'on foutait là. A la fin il y a eu les fleurs pour la chanteuse, les embrassades avec les compositeurs, avec le monsieur bedonnant et souriant qui était aux anges, dans sa boutique.
On s'est retrouvé dans la rue, en se demandant si on n'avait pas rêvé...
Vivement la foire aux vins bio!



mercredi 26 août 2015

C'est cool, l'Uruguay!

C’est cool, l’Uruguay !

En face de Buenos Aires, sur l’autre rive du Rio de la Plata, le vaste delta qui récupère une partie des eaux de l’Amazonie pour les emmener dans l’Atlantique, c’est l’Uruguay. On a décidé d’aller y faire les curieux pour deux jours, un peu comme des vacances à l’intérieur des vacances…

Les premiers navigateurs se sont fait mangés tout crus... 
enfin peut-être cuits! ça doit être plus facile à mastiquer. 
On débarque à Colonia del Sacramento, une destination prisée des Argentins, autant pour aller se baigner que pour changer leurs pesos en dollars. Mais nous sommes en plein hiver, en plein milieu de la semaine, et les touristes sont rares…

Ouh, Ouh,  où vous êtes cachés?
Cela nous fait tout drôle de marcher dans des rues pavées, presque désertes, bordées de maisons basses très anciennes, sans panneaux publicitaires tous les 10 mètres, sans enseignes lumineuses, sans entendre en permanence en fond sonore le roulement trépidant des bus et des camions, sans non plus de crottes de chiens sur les trottoirs.

Buen Dia, el perro!
Pourtant, on chemine parmi des chiens en liberté d’une totale décontraction, au milieu d’une incroyable collection de voitures antiques laissées un peu partout en déco le long des trottoirs, certaines transformées en mini terrasses de restaurant. 

Installez vous!
Après trois semaines de Buenos Aires et juste une heure de traversée, le dépaysement est total.
Brusquement un air de zumba envahit la rue, le son est très fort et la musique hyper entraînante, impossible de ne pas se déhancher en marchant. Un pick-up remonte la rue à 15 à l’heure, l’arrière chargé à ras bord de grosses enceintes, qui diffusent les messages publicitaires des commerçants de la ville entre des intervalles musicaux (ou l’inverse…). Puis il disparaît lentement au bout de la rue, et la grande quiétude reprend ses droits.

El kéké!
Bon, on recommence à marcher normalement, le chant des oiseaux c’est bien aussi.
On avait trouvé les Argentins plutôt cools, mais ici attention, c’est du lourd ! Pourtant, mis à part une plus grande proportion de rastas, de babas cools, de buveurs de maté et de vieux routards reconvertis dans le tourisme, la population ne diffère pas beaucoup. Ni en terme vestimentaire, ni en couleur de peau.  Non, ce qui change, c’est l’attitude : les gens sont à la fois concentrés et hyper zen, détendus sans pour autant être des légumes. D’ailleurs la rue est propre, les maisons sont belles et, bien que très anciennes, joliment entretenues. 

una calle 
Il y a des arbres, des grands cactus, de jolies enseignes. OK c’est touristique, mais avec un mélange de soin et de laisser aller très séduisant, qui me fait penser à mes chères iles bretonnes.
On atterrit à « El Viajero » (Le Voyageur), sorte d’auberge de jeunesse dont la devise est « Turista ?  No, viajero ! ». Belle maison coloniale avec patio, plein de recoins, de carrelages, de terrasses en cascades… C’est beau mais pas trop, pas trop cher non plus… et il y a une cheminée ! L’Uruguay c’est cool, mais ça caille aussi, et la maison n’a pas de chauffage. Les enfants font le feu avec Antonieta, la jeune fille aux dreads serrés dans un turban, qui assure aussi l’accueil, tient le bar, et fait le maté et le petit déjeûner… Notre premier feu d’eucalyptus ! 


On fête ça autour d’une bonne bière et de batailles navales sans pitié, avant de sortir dans la rue. Autre différence avec l’Argentine, l’Uruguay est réputé comme un des pays les plus sûrs du monde, et c’est vrai qu’on se balade de nuit sans le moindre sentiment d’inquiétude, ce qui ne nous était pas arrivé depuis un moment.

El Drugstore, de noche
Au restaurant « El Drugstore », après que le chanteur de la soirée ait interprété « Clandestino » de Manu Chao pour faire plaisir aux Français, l’addition est présentée dans quatre monnaies différentes : peso uruguayen, peso argentin, réal brésilien, et dollar ! Le pays mérite bien son surnom de « Suisse de l’Amérique Latine ». Ici on peut payer la même note avec plusieurs monnaies différentes, tout le monde a un convertisseur à jour dans la tête ! D’ailleurs je m’aperçois que je suis en train de devenir un vrai « argento-uruguayen », avec dans mes poches des euros, des dollars, et des pesos des deux pays. Excellent pour le calcul mental…

la cocina
A côté du resto on visite le « musée de l’humour », création d’un artiste local. Coup de bol, aujourd’hui c’est gratis ! C’est une magnifique maison coloniale, inondée de dessins et de peintures à la Andy Warhol, de scènes de la vie quotidienne totalement kitsch avec un humour au 3ème ou 4ème degré, de courts métrages délirants projetés un peu partout, un film opéra du Cirque du Soleil, des jeux videos détournés, un salon où l’on peut se prendre en photo à côté de quelques figures de l’histoire contemporaine locale, découpées dans de grands cartons : Francisco (le Pape François, Argentin), Eva Peron, et bien sûr… Pepe Mujica.

Dos hombres grandes
Son nom ne vous dit peut-être rien, mais c’est une icône vivante dans toute l’Amérique latine. Uruguayen, ancien fleuriste, ancien guérillero communiste, il a passé plus de 12 ans en prison, sous la dictature, dont 2 au fond d’un puits, torturé quasi quotidiennement. Devenu Président de la République d’Uruguay en 2009, il laisse un bilan exceptionnel, dans tous les domaines. Il a réussi à sauver les banques uruguayennes, accusées d’évasion fiscale à l’échelle mondiale, tout en rendant des terres aux Indiens et aux petits producteurs, à lutter efficacement contre le narcotrafic en « nationalisant » les drogues douces, à pacifier le pays tout en légalisant le mariage gay, le changement de sexe, l’avortement… Dans le même temps il refusait de s’installer dans le palais présidentiel, pour demeurer dans sa fermette de « campesino » et continuer à rouler dans sa vieille coccinelle. 

voiture présidentielle (avec le Président à l'intérieur)
Parlant peu, souvent par images, extraordinairement bien entouré, faisant régulièrement la une des plus grands journaux des deux Amériques, il est aujourd’hui retourné à ses légumes bio et à l’université rurale qui se trouve de l’autre côté de son terrain… 

El  ex Presidente
Bref, un personnage énorme, inclassable, un guerrier vêtu comme un pecno, un immense orateur parlant peu et mal, un visionnaire à grosses lunettes, totalement inimaginable dans le monde occidental… A son départ des dizaines de milliers d’Uruguayens l’ont accompagné à sa sortie du palais présidentiel, tous en larmes tandis que la Coccinelle s’éloignait… Je parle de lui avec Antonieta. Elle ose à peine me répondre, comme si cela ne lui aurait pas fait plaisir qu’on l’encense. Elle me dit simplement, très émue, en baissant la tête et en me faisant comprendre qu’elle n’avait pas envie d’en parler davantage : « es una persona muy humilde » (c’est une personne très humble).
Un dernier mot sur le bonhomme. A un journaliste lui demandant ce qu’il allait faire après la présidence, il répondit : « ce que font toutes les vieilles personnes de mon âge : donner des conseils dont tout le monde se fout… »


Le lendemain on se lève de bonne heure pour aller prendre un bus qui part vers l’intérieur du pays, histoire de voir un peu de verdure. Sympa, la campagne uruguayenne, un peu entre le Mexique et la France. Il y a des vaches, des cactus, des vignes, des palmiers, des gauchos, des pick-up.


On s’arrête à Carmelo, une petite ville tranquille, au bord du fleuve. On se balade un peu au hasard dans les rues. Les voitures roulent toujours aussi lentement, d’ailleurs il n’y a ni panneaux de signalisation, ni passages piétons. 


De temps en temps une charrette déboule d’un carrefour, tirée par deux chevaux, menée par un indien debout, le fouet levé, doublant un cycliste en tenue « Tour de France », on en a même vu un avec le maillot jaune. Beaucoup de pick-up, flambant neufs ou carrément décatis, mais aussi, fierté et nostalgie, une panoplie de 504 et de R12… 
En bas de la ville il y a le port fluvial qui permet d’envoyer des marchandises vers le nord (Paraguay, Brésil), ou le sud (Argentine). Quelques grosses bodegas y entreposent leur vin, avant expédition.

Le port de Carmelo
Certaines portes de hangar sont entièrement peintes, de grandes fresques illustrent la vie aux champs, mais souvent aussi l’histoire locale, la guerre d’indépendance, les anciennes tribus indiennes…
Sur la grande place, autour d’un immense conifère qui a dû être planté le jour de l’indépendance, il y a deux cents ans, on se fait une partie de freesbee avec les enfants. Quelques-uns ramassent en souriant l’objet lancé un peu trop loin, mais personne n’ose le relancer, ce drôle de cercle fluo volant.

La plazza de Carmelo
Retour à Colonia, quelques heures à perdre avant de reprendre le bateau. On décide de chercher une plage, malgré le vent glacial. On en trouve une à 500m de l’embarcadère, derrière une voie ferrée désaffectée, coincée entre un entrepôt de matériaux de construction et un petit bidonville, à l’ombre d’une grande tour d’habitation. Mis à part quelques déchets et une carcasse de bateau toute rouillée, l’endroit est agréable, la plage est absolument déserte, le sable est magnifique, le Rio est si large et si salé qu’on se croirait au bord de la mer, juste la couleur de l’eau –marron rouille-, nous rappelle que ce n’est pas encore l’océan !
Hors de question de se baigner, il fait trop froid, sauf que j’envoie malencontreusement le freesbee un peu trop loin…

N'importe quoi les touristes!
Les habitants de l’immeuble ont dû bien se marrer en voyant ce touriste en caleçon et en pull, tâtant le fond de l’eau du bout du pied, forcément trempé jusqu’à l’entrejambe à la première vaguelette scélérate, au grand plaisir des enfants… si jeunes et déjà sans cœur ! Peine perdue, évidemment. On se rabat sur l’activité château de sable. 

Land art...
Belle création, on laissera une œuvre contemporaine intéressante, mêlant art naïf et réutilisation des déchets, avec une nette prédominance des pelures d’orange et de banane, en totale rupture avec les vieilles bouteilles de soda déformées par les vagues et les UV.
Dans un dernier élan d’extra lucidité, Hélène réussira à apercevoir le freesbee à travers les eaux troubles, et c’est victorieux que nous repartons vers notre ville tentaculaire.

Il a beau être un peu gelé, mon petit doigt me dit qu’on reviendra faire un petit tour dans ce pays…