cartes postales de Manaus
opossum
Une fois franchie la guérite du gardien, on se retrouve
face à un grand boulevard. De l’autre côté, si on réussit à traverser sans se
faire écraser, ce qui constitue notre challenge quotidien, on peut aller se mettre
au frais dans le Millenium Shopping. C’est un centre commercial tout beau et
tout neuf, avec plantée en plein milieu une tour de 18 étages : une
clinique privée elle aussi toute belle et toute neuve. Je contribuerai
sérieusement à l’entretien de ses murs et de son personnel, en y laissant quand
même 500 réais (125 euros), juste pour me faire prescrire quelques gouttes
suite à une inflammation dans l’oreille !
Si l’on préfère longer l’avenue
puis tourner à droite pour aller à l’épicerie, au bord de la petite rivière, à
même pas 500 mètres de la résidence, ce n’est plus tout à fait le même décor. Le
gardien nous avait prévenus qu’il fallait enlever les montres avant d’y aller,
ce qu’on a fait en se disant qu’une fois de plus les gens exagéraient… Mais cette
fois pas trop. Sitôt quittée la grande avenue et ses beaux immeubles, on se
retrouve dans une zone complètement déshéritée : une population misérable
habite dans des bicoques en bois, perchées sur des poteaux de guingois pour se
protéger des crues. Quant aux berges, elles sont couvertes d’une
impressionnante quantité d’immondices.
Entre le pont et l’épicerie, il y a quelques dizaines de mètres de trottoir où des types un peu hagards sont assis, une bière à la main, pendant que leurs collègues s’activent autour des barbecues. D’autres ont amené leurs chaises, pour discuter ou picoler carrément dans l’épicerie. Assis à la caisse, le patron s’envoie un gros bol de soupe. Il finit par nous remarquer, et nous observe, vaguement surpris, l’air un peu hagard lui aussi, avant de poser son bol en équilibre instable sur la caisse. C’est un des plus gros hommes que j’aie jamais vu, ses fesses et son ventre occupent tout l’espace de la caisse, et on se demande bien comment il fait pour y entrer, et surtout pour en sortir ! Il nous vend nos cigarettes puis retourne à son bol, totalement indifférent, le regard vide… L’ambiance est bizarre, franchement glauque, on a l’impression que tout le quartier est raide défoncé, OK c’est dimanche mais quand même…
centre commercial et tour médicale
Entre le pont et l’épicerie, il y a quelques dizaines de mètres de trottoir où des types un peu hagards sont assis, une bière à la main, pendant que leurs collègues s’activent autour des barbecues. D’autres ont amené leurs chaises, pour discuter ou picoler carrément dans l’épicerie. Assis à la caisse, le patron s’envoie un gros bol de soupe. Il finit par nous remarquer, et nous observe, vaguement surpris, l’air un peu hagard lui aussi, avant de poser son bol en équilibre instable sur la caisse. C’est un des plus gros hommes que j’aie jamais vu, ses fesses et son ventre occupent tout l’espace de la caisse, et on se demande bien comment il fait pour y entrer, et surtout pour en sortir ! Il nous vend nos cigarettes puis retourne à son bol, totalement indifférent, le regard vide… L’ambiance est bizarre, franchement glauque, on a l’impression que tout le quartier est raide défoncé, OK c’est dimanche mais quand même…
Cette première sortie dans le quartier résume assez
bien l’impression générale qu’on aura de la ville, où luxe et misère se
côtoient de bien plus près que dans les autres villes traversées (et pourtant
on en a vu des violents contrastes !).
Manaus est certainement la ville la plus étrange qu’on
ait trouvé sur notre chemin depuis notre départ. Deux millions de Brésiliens,
dans une moiteur torride, y vivent comme sur une île au cœur de la jungle, à 1
000 km de la grande ville la plus proche.
Le pharaonique projet d’autoroute transamazonienne
n’est toujours pas arrivé jusqu’ici (ou plutôt la forêt l’a englouti), et il
n’y a que le bateau ou l’avion pour rejoindre le reste du pays. Et tout cela à
cause de Mister Goodyear, l’Américain qui inventa la vulcanisation. Rien à voir
avec les volcans ! C’est le procédé qui permet de contrôler la souplesse
du caoutchouc, grosso modo en le malaxant avec du soufre, et d’en faire de la
chambre à air, du pneu… ou des becs de clarinette et de saxophone, fabriqués comme
chacun sait en ébonite, du caoutchouc durci.
chantier naval flottant
Débute alors la fièvre du caoutchouc, qui entre 1850 et
1920 fera de Manaus une des villes les plus riches du monde, et certainement la
plus riche du Brésil : éclairage public et tramway électriques, adduction
d’eau, splendides avenues construites sur des marais asséchés… et surtout
construction d’un sublime opéra (c’est là qu’on retrouve nos clarinettes et nos
saxophones !). Tous les matériaux de décoration et d’ameublement de cet
incroyable théâtre sont venus d’Europe, via l’océan atlantique et le fleuve
amazone. L’acoustique y est exceptionnelle, au point qu’aujourd’hui encore s’y
tient un des festivals d’opéra les plus réputés au monde. Mais le plus
extraordinaire, c’est que les bourgeois de Manaus, sans doute pour être sûrs
qu’on parlerait d’eux jusqu’en Europe, imaginèrent de recouvrir de caoutchouc
les pavés entourant le théâtre, de manière à ce que le bruit des fiacres des
retardataires ne perturbe pas le spectacle…
le dôme de l'opéra
sortie de star sous la pluie
Pendant ce temps-là, dans la forêt et de nuit, les
seringueros saignaient les hévéas pour recueillir le précieux latex, avant de
consacrer leur journée du lendemain à en faire patiemment de grosses boules. Et
d’aller les porter, le dimanche suivant, au « baron », comme on
disait. Et comme le prix payé couvrait à peine la nourriture, les vêtements et
les outils que les seringueros ne pouvaient acheter qu’au baron, on imagine
bien que c’était purement et simplement de l’ esclavage, avec des contremaîtres
qui n’avaient rien à envier à ceux qui, quelques années auparavant,
s’occupaient avec leur fouet des esclaves noirs ou indiens.
avec la lampe pour le travail de nuit
boules de latex
Chapelle des seringueros
recolte du caoutchou |
Pour visionner la technique, cliquez sur l'image ci-dessous:
Mais ceci est un blog de voyage et non une encyclopédie, donc abrégeons ! En 1920 le cours mondial du caoutchouc s’effondre brusquement, du fait de la plantation d’hévéas dans les colonies anglaises en Asie. Les bourgeois quittent alors la ville avec armes, bagages… et pognon ! Et Manaus redevient un gros port endormi et oublié, ne se réveillant que par intermittence. Comme en 1942 où, suite à un contrat avec les Américains, 60 000 travailleurs des terres pauvres du Nordeste vinrent réexploiter massivement le latex, puis restèrent faute de pouvoir payer leur retour, une fois que les cours se furent de nouveau effondrés !
Se promener dans Manaus, c’est revivre cette histoire,
grâce aux nombreuses maisons d’époque encore debout, même si elles sont le plus
souvent mal en point. Restent surtout le grand marché couvert, façon Eiffel, et
évidemment le sublime opéra. Grâce aussi à l’histoire des habitants : ce
sont les descendants des seringueros qui occupent aujourd’hui les quartiers
pauvres et les bidonvilles flottants de Manaus, pendant que les nouveaux
bourgeois, promoteurs et entrepreneurs du bâtiment, profitant du statut de zone
franche de la vile, roulent carrosse dans de grosses japonaises, et habitent
sur les toits des buildings, là où sont les belles terrasses pleines de
palmiers en pots. Bref, rien n’a beaucoup changé, seul l’or gris du béton
remplace l’or blanc du latex…
Se promener dans la ville, c’est revivre aussi
l’histoire du Brésil, et de ses guerres incessantes pour la possession de
l’Amazonie, contre ses voisins péruviens, colombiens et boliviens. Evidemment
basées à Manaus, les fameuses « troupes de la jungle » occupent un
territoire absolument gigantesque, peut-être la moitié de la ville. Elles
abritent même une université et un zoo…
Et puis il y a les fleuves. En réalité il n’y a rien
d’autre que les fleuves à Manaus. Mais c’est surtout l’autre qui nous a
séduits. Pas l’Amazone que rien n’arrête, et qui passe un peu plus bas,
charriant ses morceaux de forêt arrachés aux berges. Pas l’Amazone aux crues
terribles, dont on voit les marques consciencieusement gravées sur les
quais : plus de 15 mètres de différence, certaines années, entre la saison
sèche et le plus haut des eaux six mois plus tard ! Non, pas l’Amazone,
mais un étrange fleuve aux eaux pures et noires, toutes chargées des humus de
la forêt primaire, et tout droit descendues du nord, des derniers endroits
encore inviolés d’Amazonie : le Rio Negro. Ce beau fleuve, qui vient baigner
Manaus juste avant de se dissoudre lentement dans l’Amazone, porte ses
innombrables maisons flottantes, son port flottant, et toute son histoire… Par un bel après-midi, on est partis le
remonter sur quelques kilomètres. Le départ se fait d’un petit port blotti au
fond d’un vallon. C’est tout au bout de la ligne de bus, là où la route et la
ville se finissent pour laisser la place aux bateaux, et à ceux qui vivent au
bord de l’eau. Le grand port de Manaus, celui des ferries et des cargos de
haute mer venus par l’Amazone, semble appartenir à une autre planète. D’ici on
ne part pas sur de gros navires, mais sur des lanchas qui ne sont rien d’autre
que des bus et des camionnettes flottants, puisqu’à partir d’ici il n’y a plus
d’autre route que la rivière. Les lanchas emmènent donc les enfants à l’école
et les adultes au travail, approvisionnent les supérettes… allant de village en
village comme autrefois nos bus de campagne.
Mais elles emmènent aussi les gens de la ville jusqu’à la plage, une splendide plage de sable blanc qu’on longe, médusés, à peine à 10 minutes de notre petit port. Une vraie plage avec des transats et des tentes de plage, adossée à la forêt ! Il paraît que le Rio Negro en a plein dans sa besace, sauf que plus loin il n’y a plus que le sable, et pas les transats… La balade se poursuit, une des plus belles qu’on ait faites depuis qu’on est partis. Les maisons flottantes sont toutes plus surprenantes les unes que les autres (on verra même une boucherie flottante !), les villages respirent la tranquillité, l’air est pur et sans moustiques, beaucoup plus frais qu’en ville. Anémone ne cesse de s’exclamer en apercevant de petits bouts de plage plus beaux les uns que les autres. Puis on arrive au musée, une ancienne propriété d’un baron du caoutchouc. L’endroit est magnifique et désert, le musée balance entre la maison de poupée grandeur nature, et l’évocation sinistre du quotidien des seringueros. Mais on aurait signé tout de suite, si on nous avait proposé de nous laisser là pour quelques jours, avec un petit bateau à disposition…
Mais elles emmènent aussi les gens de la ville jusqu’à la plage, une splendide plage de sable blanc qu’on longe, médusés, à peine à 10 minutes de notre petit port. Une vraie plage avec des transats et des tentes de plage, adossée à la forêt ! Il paraît que le Rio Negro en a plein dans sa besace, sauf que plus loin il n’y a plus que le sable, et pas les transats… La balade se poursuit, une des plus belles qu’on ait faites depuis qu’on est partis. Les maisons flottantes sont toutes plus surprenantes les unes que les autres (on verra même une boucherie flottante !), les villages respirent la tranquillité, l’air est pur et sans moustiques, beaucoup plus frais qu’en ville. Anémone ne cesse de s’exclamer en apercevant de petits bouts de plage plus beaux les uns que les autres. Puis on arrive au musée, une ancienne propriété d’un baron du caoutchouc. L’endroit est magnifique et désert, le musée balance entre la maison de poupée grandeur nature, et l’évocation sinistre du quotidien des seringueros. Mais on aurait signé tout de suite, si on nous avait proposé de nous laisser là pour quelques jours, avec un petit bateau à disposition…
En fin d’après-midi on reprend le bus n° 120, on longe
pendant des kilomètres la base militaire, on retraverse la petite rivière
pleine d’immondices, on repasse devant l’épicerie, et puis on arrive sur le
grand boulevard. L’asphalte et le béton restituent la chaleur accumulée dans la
journée, l’air est brûlant et saturé d’humidité… Bienvenue à Manaus, fermez la
parenthèse !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire