jeudi 24 décembre 2015

Attaque de myopie en Equateur



C’est curieux, cette manie du voyageur de toujours comparer son pays avec celui qu’il est en train de visiter. La cuisine, le climat, la mode, les prix, le nombre de bises, les panneaux routiers, les enseignes des magasins, les façons de cultiver… 



En général, ça finit toujours plus ou moins par la conclusion que c’est joli chez les autres mais qu’on est quand même mieux chez soi ! Certainement c’est rassurant de se comparer, et puis c’est aussi une manière de redécouvrir notre identité de Breton, de Français, d’Européen…



Pourtant, en Equateur, après plus de 4 mois de voyage, on commence petit à petit à perdre cette habitude. Non pas qu’on soit blasés, même si on commence à ne plus s’étonner de choses qui nous choquaient ou nous effrayaient il y a seulement deux mois. Non, c’est plutôt que nos repères changent, insensiblement : mine de rien, l’Equateur est le cinquième pays à tamponner notre passeport, et on commence à avoir pas mal de points de comparaison entre les différents pays traversés. 



Parfois même davantage que les gens du coin avec qui l’on discute. Et comme à peu près tous les habitants rencontrés s’intéressent à ce qui se passe sur leur continent (beaucoup plus que les Européens ne s’intéressent à l’Europe), les sujets de discussion et de comparaison ne manquent pas entre les différents pays d’Amérique latine: la cuisine, le climat, la mode, les prix…
Même entre nous on se surprend à dire «chez nous» pour parler de l’endroit où l’on vit, et à comparer les cuisines d’Equateur et du Pérou, la circulation à Buenos Aires et à Lima, ou bien la façon de parler entre le Pérou et la Bolivie…


L’Equateur est pourtant l’un des pays les plus intéressants en terme de comparaison avec la France, parce qu’on ne peut pas imaginer à la fois plus semblable et plus différent. A première vue on est totalement ailleurs. Vu d’Europe, l’Equateur c’est presque le bout du monde, un pays qui réunit des terres longtemps inconnues des occidentaux : les Andes, l’Amazonie, les côtes du Pacifique... 


L'Equateur c'est cela.


C'est cela aussi.

Aussi cela


Mais aussi cela

Idem d’un point de vue humain et historique : le pays s’est fait avec des Indiens et des Espagnols, bien sûr, mais également avec des Asiatiques, des Polynésiens et des Africains. 



Pourtant aucun communautarisme ici, à part peut-être les commerçants chinois dans les grandes villes. Non seulement l’écrasante majorité de la population est métisse, mais encore la couleur de la peau ne semble avoir aucun lien avec la hiérarchie sociale. D’ailleurs l’hérédité dans ce pays est totalement illisible, et dans une même famille on retrouve des types humains très différents. Plusieurs fois on a même vu un ou deux enfants aux yeux bleus dans des familles où les parents et tous les autres frères et sœurs avaient les yeux très bruns et la peau très mate.  


Même le président a les yeux clairs
Finalement ce qui frappe le plus dans ce pays, davantage que son extraordinaire métissage, c’est plutôt la manière dont la population semble unie derrière son drapeau, et la croyance commune en un progrès dont tous semblent plus ou moins recueillir les fruits.



Et pourtant, curieusement, si l’on met de côté l’optimisme ambiant, les points de comparaison entre la France et l’Equateur sont légions : d’abord c’est aussi un grand pays agricole, et de plus à peu près de la même taille que le nôtre.



 Ici les champs de riz et les bananiers remplacent le blé et les pommiers, les cacaotiers et caféiers valent nos vignes, sans oublier tous les autres innombrables fruits et légumes produits à grande échelle et exportés dans le monde entier.


Cacao


café
Le pays dispose également d’une belle industrie, surtout dans les technologies de pointe. Ainsi les universités produisent les meilleurs ingénieurs de software bancaire (premier pays à disposer de distributeurs automatiques). 




Il a aussi de grands ports de pêche et de commerce…  



Il ne faut pas oublier le tourisme, qui est autant développé que chez nous, et pas seulement sur la côte, car l’intérieur compte une profusion de parcs régionaux et nationaux remarquables, autant dans la montagne qu’en Amazonie.  Et quant à la gastronomie, c’est pour l’instant, et de loin, la meilleure que nous ayons rencontrée ! 


La spécialité sur les marchés 
On pourrait même pousser la comparaison en faisant un rapprochement sur le plan des particularismes locaux : notre Corse serait (un peu) les Galapagos, et il y a même 9 langues régionales reconnues et enseignées (en Amazonie) !



Et ce n’est pas tout ! Même notre fierté nationale, l’état-providence, se retrouve ici, avec un niveau à faire pâlir un socialiste : éducation et santé gratuites et de qualité, allocations familiales conséquentes, fonctionnaires bien payés, versement de l’équivalent d’un mois de salaire (suivant sa déclaration d’impôts) à chaque travailleur une fois par an. 



Evidemment tout cela coûte des sous, beaucoup de sous. Des sous qui venaient en grande majorité de l’argent du pétrole. 



Mais quand le cours du pétrole s’est effondré, les revenus de l’Etat en ont fait autant , et forcément ce sont les impôts et les taxes qui se sont envolés. 



Mais heureusement les Chinois sont là, et continuent de soutenir l’économie à bout de bras, en attendant que le cours du brut ne remonte…
Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Comme en France, la monnaie locale a cours bien au-delà de ses frontières. Tiens donc, il y aurait donc une monnaie commune en Amérique du sud ? Pas exactement, non… Pour tout dire, au début, on a cru que c’était une blague. Ensuite on a cru que c’étaient des dollars équatoriens, et finalement on a dû se rendre à la réalité : ce sont bien des dollars américains, des vrais de vrais, émis par la banque centrale des States, qui sont la seule et unique monnaie du pays ! 



On imagine le comité d’accueil quand arrive l’avion plein de billets en provenance de Washington… Mis à part le fait qu’aucun commerçant n’accepte les billets de 100 dollars, par peur des contrefaçons (et qu’évidemment on n’avait que ça sur nous quand on a débarqué, ce qui nous a obligés à aller faire nos courses à l’hypermarché !), c’est plutôt drôle pour les enfants, et même pour nous, de jouer à la marchande avec les jolis billets et les pièces de l’oncle Sam !





Bien sûr, ce petit jeu de la comparaison est assez stérile, pas très rigoureux et à peu près invérifiable, tant les échanges semblent rares entre ces deux pays. Pourtant la France n’est pas inconnue ici. Un bon millier de jeunes équatoriens font leurs études à Paris, et sans doute autant en province. 



Et dans les grandes villes les marques de luxe françaises font fureur, très chères dans les boutiques chics, et à vil prix au marché textile et de parfumerie chez les commerçants chinois.




Pour tout dire, ces lignes sont écrites aux Galapagos, dans un petit port qui vit principalement du tourisme des iguanes et des tortues géantes. 






Demain de bon matin on ira acheter les langoustines au retour de la pêche, et ensuite on ira se baigner avec les lions de mer. 



Au frigo en attendant noël
Tout cela doit créer une légère déformation du regard : vus d’ici, la France et l’Equateur sont en effet bien semblables…



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