mardi 6 octobre 2015

En lévitation dans la cordillère


A Tupiza on a entendu parler d’une agence qui organise des raids en 4X4 dans une des plus belles régions d’Amérique du Sud, celle des lagunes et des déserts de sel aux confins du Chili et de l’Argentine, au cœur de la Cordillère.

Hotel muro de Tupiza

L’agence fait aussi hôtel, on y prend donc une chambre. Le grand luxe : chauffage, douche bien chaude, piscine, même un petit coin où on peut jouer au foot avec Albert… sur de la vraie pelouse! Cela nous paraît extraordinaire, à nous qui n’avons pas vu un brin d’herbe depuis un mois. Vue l’altitude, je me contente de faire le gardien, et encore ce n’est pas brillant…
La patronne connaît son affaire, avec son père elle est à l’origine des premiers «tours», comme on dit ici, pour découvrir la région, il y a maintenant près de 30 ans. Elle nous propose le tour basique, 4 jours 3 nuits avec un guide-chauffeur et une cuisinière. Premier coup de bol, on peut partir le lendemain matin. Second coup de bol, mais cela on l’apprendra plus tard : comme on part avec de jeunes enfants, pour ce qui va se révéler une véritable aventure, elle nous confie à son meilleur chauffeur (et par là-même à sa meilleure cuisinière). En entendant le récit des galères et des désagréments vécus par d’autres touristes partis en même temps que nous, on remerciera nos chers petits!


En fin d’après-midi on va au marché chercher les quelques équipements que l’agence nous a demandés d’acheter (en plus du papier toilettes, et des lunettes de soleil pour le désert de sel!). 


Parmi les étals de feuilles de coca, de fœtus et autres préparations destinées à améliorer la fertilité et la puissance sexuelle, Anémone trouvera un magnifique bonnet à pompons, avec lunettes de soleil intégrées… tricotées à la main! 
Jolie!
Hélène quant à elle craquera pour un joli pull orange avec motifs quechuas. 

Le pull sur la tête , c'est chaud!
Pendant ce temps, avec Albert, on cherche parmi les stands une petite pompe avec une aiguille pour regonfler notre ballon de foot… qu’on finira par trouver !

Le lendemain matin, dès 7h30, les 4X4 se garent devant l’agence, et les chauffeurs commencent à charger sur les toits les sacs des clients, à côté des réserves d’essence, des roues de secours, des bouteilles de gaz et des gamelles pour la cuisine.

Notre quatro por quatro

Une demi-heure plus tard c’était parti pour 4 jours qu’on n’est pas prêts d’oublier, hors du temps, et surtout en compagnie de deux personnes exceptionnelles : Marco, le chauffeur-guide, un Quechua propriétaire de «Mi Joya» (mon bijou), un Nissan de plus de 15 ans conservé dans un état incroyable au vu des endroits où il le fait passer. 

Marco y Katty

Et Katty, Quechua elle aussi, notre cuisinière, qui se lèvera tous les matins à 3h pour qu’on déguste les meilleurs repas qu’on aura mangés depuis 2 mois. Et tout cela dans des conditions plus que précaires, dans le froid, et souvent sans eau et sans électricité…
Il faudrait 40 pages pour raconter ce voyage. On a eu peur (pas beaucoup), on a eu froid (souvent), on en a eu marre (rarement), on a été secoué sur des pistes défoncées (souvent), mais à l’arrivée on en ressort tous les 4 gonflés à bloc, pleins de complicité et aussi d’humilité, comme des novices qui reviennent d’une croisière en mer dans des conditions un peu musclées.

Notre circuit

Voici donc juste une succession de quelques souvenirs qui nous restent, un peu comme quand on se réveille en essayant de réunir les morceaux d’un rêve improbable.

Les villages : des vrais villages, c’est-à-dire avec une église et une école, il y en a peut-être une demi-douzaine, dans une région grande comme la Bretagne! 

un four traditionnel

Avec aux alentours quelques fermes isolées, parfois regroupées en hameaux minuscules. 


Les maisons sont blotties au bord d’un rio asséché, entourées de quelques enclos en pierres sèches pour les lamas, et de petits champs où l’on cultive le quinoa.

Quinoa... ca ressemble au sorgho!

Les murs sont en briques de terre, les toitures faites avec le quasi seul végétal présent dans la région, une herbe extra dure qui pousse en petites touffes et qui sert aussi de nourriture aux lamas. 


On voit aussi quelques toitures en tôle ondulée, avec de grosses pierres dessus pour empêcher le vent de les soulever.

Le circuit est conçu en fonction de ces petits morceaux de présence humaine, pour les haltes du midi et du soir. 

fenêtre de notre chambre froide!

Les villageois ont construit quelques «hostals» rudimentaires : une grande salle servant de réfectoire, flanquée d’une demi-douzaine de chambres-dortoirs, et d’une pièce réservée aux cuisinières. Des groupes électrogènes et des panneaux solaires donnent un peu de lumière à la tombée du jour.


Le soir, les enfants du village viennent chanter quelques chansons pour les touristes, avant le repas, en s’accompagnant à la flûte de pan. Des chants anciens, interprétés avec conviction. Les garçons portent une casquette de marque, et un pantalon adidas par-dessus un caleçon long. Les filles sont timides et coquettes, avec des chapeaux roses et de jolies bottes en plastique. A la fin, ils demandent quelques pièces pour acheter des fournitures scolaires.
Le passage des 4X4 chargés de touristes et d’argent frais modifie peu à peu l’économie locale. 

Centre-ville

Pour faire vite, on pourrait dire que les touristes remplacent peu à peu les lamas : à mesure que se montent les hostals et les minuscules épiceries vendant alcool, friandises et bonnets quechuas, les enclos de pierre sont petit à petit abandonnés, et une double économie s’installe. Eleveurs-agriculteurs d’un côté, hostaleros de l’autre. Ce qui est positif, c’est que les villages s’enrichissent : des salles de sport se construisent auprès des écoles, on a même vu un terrain de foot en construction… avec une pelouse en synthétique !


Les animaux

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la région a pris pour emblème… le flamand rose! Improbable, à des altitudes moyennes de 4 000 m et des températures hivernales descendant fréquemment à moins 30 pendant la nuit…
On espérait bien en voir quelques-uns, avec un peu de chance. 


En réalité, dans les lagunes peu profondes, on en verra des milliers, parfois plusieurs centaines au même endroit, à peine farouches, nous laissant parfois nous approcher à moins de 10 mètres. Avec les couleurs sublimes données aux eaux par les algues, sur fond de volcans enneigés, on ne peut qu’être totalement scotché…

Flamands teen-agers... 
iIs deviendront roses bientôt s'ils mangent assez d'algues.

Il y a aussi plein de mouettes, les «gaviotas», à traîner autour des villages et des lagunes, qui d’après Marco sont arrivées des côtes chiliennes. Avec leur tête noire, elles sont la copie conforme de nos mouettes rieuses.

nandous

On verra aussi plusieurs fois des nandous, les autruches des Andes, broutant par petits groupes, souvent en compagnie des jolies vigognes. La chance nous a aussi souri, le deuxième jour, quand on a réussi à apercevoir un «Pikachu», sorte de gros chinchilla, se faufiler entre les rochers.

Pikachu Pokémon


Vicache un drôle de lapin à longue queue
Une fois aussi Marco s’arrêtera pour nous montrer un rhinocéros posé au milieu de grosses pierres, sur une colline désertique : même taille, même couleur, tout comme un vrai, mais juste un gros caillou sculpté par le vent et le sable !
Il paraît qu’il y a aussi pas mal de scorpions, mais on n’en a pas vu la queue d’un, pas plus que de serpents d’ailleurs, mais là c’est normal il n’y en a pas dans le secteur!

il y a aussi un chat!

Pour les autres stars de la région, plutôt nocturnes, on s’est contentés du dépliant touristique et des explications de Marco : le chat sauvage et le renard, et surtout le tatou des Andes, qu’on appelle ici le quirquincho. 


Aujourd’hui protégé, sa carapace a servi pendant longtemps de caisse de résonance aux charangos, les petites guitares 10 cordes très jouées dans toute la Cordillère. On en verra quand même un, mais empaillé, dans une des haltes qu’on fera pour déjeuner!

Charangos

Pour ma part, J’ai quand même l’impression que le véritable animal emblématique de la région, c’est le lama. Son élevage a entraîné la construction de milliers d’enclos en pierre sèche, et bien qu’en partie abandonnés ils continuent d’imprimer le paysage, à des altitudes parfois incroyables. 


Une fois par an les villageois réunissent toutes leurs bêtes, et à l’occasion de grandes fêtes tous les animaux sont marqués par leurs propriétaires. 


Ces marques sont constituées par des brins de laine tressés, colorés souvent dans les tons rouge ou rose, et qui vont ensuite pendre aux oreilles des bêtes tout le reste de l’année, leur donnant un look totalement fun! Bien sûr les caravanes de lamas ont disparu, mais les animaux continuent à satisfaire une quantité de besoins impressionnante : viande et laine en premier lieu, mais on utilise aussi leurs déjections comme engrais pour les champs, et comme combustible pour cuire dans les fours et pour se chauffer.

Ceci est de la crotte de lama, ça ressemble à celle du lapin...
les Lamas font tous leurs besoins au même endroit;
du coup ça forme des tâches rondes sombres sur le sol



Katty et Marco

Nos gardiens

Nos anges gardiens et nos initiateurs. Marco connaît tout de la région. La langue, les traditions et la religion quechuas, et bien sûr les villageois auprès de qui il est connu comme le loup blanc, et qui réservent à ses clients les meilleures tables et surtout les meilleurs hostales. 



Il connaît l’âge, le nom et l’altitude précise de tous les volcans, il sait comment et quand s’est formée la mer de corail fossile, ...

Les coraux fossilisés
Il connaît les noms et les habitudes des animaux, il connaît les plantes et tous leurs usages, il connaît la mécanique et la géologie.


Ce lichen est millénaire. Il ne pousse que dans les Andes.
On se souviendra des traversées de vallées perdues, parsemées de sublimes lagunes, tout en chantant du Manu Chao à fond dans le 4X4. 

Lagune Rouge

Laguna Verde, derrière le Volcan , c'est le chili!
On se souviendra d’un pique nique en plein désert, dans le «comedor de Marco», à l’abri du vent et de la poussière sous un arbre de pierre sculpté par le vent, où il nous conte la légende du premier homme et de la première femme Quechua, tout là-haut dans le nord, dans l’île du soleil, au beau milieu du lac Titicaca. 

L'arbre de pierre


la lagune est verte du fait de l'arsenic 
qu'elle contient. faut surtout pas la boire, à moins que...
On se souviendra de la course avec un de ses collégues, au milieu du désert de sel, et des enfants chantant tant et si bien «appuie sur le champignon», qu’il a fini par y trouver son surnom de «El champinion». 


On se souviendra de son 4X4 lavé et bichonné chaque soir, et de ses plaisanteries avec son collègue Pancho qui lui au contraire se contentait de tracer avec son doigt sur la poussière de son pare-brise arrière : AMO MI TIERRA , PORQUE NO LAVO MI TIERRA (j’aime ma terre, c’est pourquoi je ne lave pas ma terre) ! Merci Marco, tu nous as fait aimer ta terre !


Katty faisait la route assise à l’avant, à côté de son chauffeur. Aussitôt arrivés à l’étape du soir, il lui descendait le matériel du toit et elle s’installait dans la cuisine de fortune. Très vite Anémone l’a rejointe et elles ont préparé le repas et dressé la table ensemble, et ce fut ainsi tous les soirs. Une belle amitié est née entre elles, et la séparation s’est faite dans les pleurs. Le dernier jour du voyage, qui était la veille de l’anniversaire d’Anémone, Katty s’est levée à deux heures du matin. 


On est parti trois heures plus tard pour aller voir le soleil se lever sur le désert de sel, depuis une île couverte de cactus en plein milieu du salar. Quand on est redescendus, Katty avait dressé la table du petit-déjeuner sur une table de pique nique toute en sel, avec sa belle nappe pleine de couleur. Une fois qu’on a été installés, elle a apporté le gâteau d’anniversaire qu’elle avait préparé pendant la nuit! 


Merci Katty, on n’oubliera pas que ton anniversaire était deux jours plus tard, j’espère que ta petite Helen te l’a bien souhaité !



On n’en sort pas des cailloux (1) !


Dans cet univers semi-désertique, on assiste en permanence aux effets du temps long, très long, d’un temps qui n’est pas du tout à l’échelle humaine : arbres de pierre sculptés par le vent et le sable au fil des millénaires, paysages de volcans aux sommets enneigés mais d’où s’échappent encore quelques fumerolles, déserts de sel, plateaux de coraux desséchés depuis que la mer s’est retirée il y a un million d’années, geysers et lave bouillonnante au milieu d’un cratère que la piste traverse tranquillement…




D’ailleurs, avant que le tourisme ne commence à se développer, seule l’exploitation du minerai animait la région. La plupart des pistes ont été créées pour les gros camions qui font la navette entre les mines du secteur et le port chilien d’Antofogasta, de l’autre côté de la Cordillère et du désert d’Atacama. Ils emportent l’étain, le borate, le lithium, le sel… 



On les voit arriver de très loin, accompagnés d’un grand nuage de poussière, un peu comme dans le Paris-Dakar.
Ah, le Paris-Dakar… Ici tout le monde connaît. Dans sa nouvelle version, il passe une fois par an dans le secteur. Mais pour nous, c’était Paris-Dakar tous les jours! A cette différence près que les 4X4 et les camions qu’on croisait n’étaient pas là pour s’amuser, et qu’aucun n’avait ni GPS, ni carte, ni feuille de route! 

Sable et sel
On s’est souvent demandé comment les chauffeurs (il vaudrait mieux dire les pilotes), réussissaient à se repérer dans cet univers bien sûr sans aucun panneau, d’autant qu’ils quittent souvent les pistes principales pour emmener leurs clients voir telle ou telle curiosité… 

Le désert de Dali
C’était toujours étonnant, le soir, de voir se garer côte à côte la demi-douzaine de 4X4 qui effectuaient plus ou moins le même circuit que nous, alors qu’il nous arrivait de passer des heures sans voir un seul autre véhicule…
Il arrivait pourtant, dans ce monde de poussière, de vent, de sable et de moteurs, qu’on tombe sur des extra-terrestres : on a croisé une fois des cyclistes (des Français), qui se rendaient tranquillement au Chili, tout souriants et tout brûlés par le vent et le soleil, et une autre fois deux marcheurs avec de gros sacs à dos. Cette fois, même Marco et Katty étaient admiratifs !

Deux cyclistes en plein désert



On n’en sort pas des cailloux (2)!

Minerai, minerai, minerai, il était écrit qu’on n’allait pas s’en sortir tant qu’on n’aurait pas quitté l’Altiplano! En effet, avant d’arriver dans la belle ville verte et blanche de Sucre, où nous allons nous poser une quinzaine de jours, il nous restait sur notre chemin deux villes minières : Uyuni et Potosi. 
A Uyuni, ville lugubre, toute sèche et ventée, à la sortie du désert de sel, Marco nous a emmenés voir le cimetière de trains, le temps que Katty prépare notre dernier repas ensemble. 


Endroit incroyable, entre Far-West et zone industrielle abandonnée, témoignant du passé de la région. A la fin du XIXème siècle une voie ferrée a été construite pour descendre le minerai du haut des montagnes, vers les plaines argentines d’un côté, et vers la côte Pacifique de l’autre. 


A l’époque la principale richesse du pays était le minerai d’argent (la Plata, en espagnol), extrait depuis le temps des conquistadors de la montagne magique de Potosi, avant d’être expédié en Espagne. La quantité d’argent sortie de cette mine fut tellement immense qu’elle a permis à elle seule, paraît-il, l’émergence du capitalisme en Europe ! Evidemment au prix de la mort de centaines de milliers d’Indiens réduits en esclavage pour la bonne cause…
Et comme par hasard, à la gare routière d’Uyuni, nous prenons un billet pour… Potosi! 

notre collectivo pour Potosi

Cette ville va être une étape pour nous reposer un peu avant de repartir pour Sucre. Potosi n’est rien moins que la ville (de plus de 100 000 habitants) la plus haute du monde, perchée à plus de 4 000 mètres : le Népal enfoncé ! Elle se niche sur les flancs du Cerro Rico (la riche colline), où plus de 6 000 mineurs continuent d’explorer les filons argentifères, dans des conditions qui n’ont pas beaucoup changé depuis le XVIème siècle.

Les toits de Potosi



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