mardi 13 octobre 2015

Une Bolivie de Château


Les toits de Sucre

Nous voici posés pour deux semaines au cœur de la Bolivie, dans la charmante ville de Sucre, où Hélène nous a dégoté un appartement aux petits oignons. Magie d’internet : en cherchant des infos sur la ville, elle est tombée sur le site d’une jeune française, Pauline, qui a créé un centre d’accueil pour des enfants déficients intellectuels. Elle a pris contact, demandé si par hasard elle ne connaîtrait pas un hébergement, et il s’est trouvé que ses propriétaires avaient justement un logement disponible.

La chambre des enfants
Depuis une semaine nous vivons donc dans un bel appartement, avec à l’étage les chambres, une salle de bain avec douche chaude, s’il vous plait, et une petite terrasse dominant un magnifique patio plein de fleurs… et même un cognassier!


La cocina
Au rez-de-chaussée il y a la cuisine, un second WC avec une machine à laver, et un grand salon-salle à manger. 


Le living-room
Bref, le grand luxe, et tout cela pour 700 Bolivianos par semaine (moins de 100 €).
Comme à Humahuaca, notre dernier hébergement en Argentine, on n’est qu’à 10 mn à pied du centre ville. Mais ça, c’est pour y aller, parce que pour revenir, vue la pente, il faut compter au moins le double, voire plus avec les sacs pleins de commissions! 


Et dire qu’on en voit régulièrement monter en courant… On se console en se disant qu’ils sont nés ici, finalement ils n’ont pas grand mérite! D’ailleurs au bout d’une semaine on commence à améliorer notre temps de remontée, dans quelques mois on sera à leur niveau… si on arrête de fumer!

Sucre
Depuis notre cocon, perchés au-dessus de la ville, nous n’en continuons pas moins à découvrir ce pays… comment dire… déroutant? Je crois que c’est le mot qui convient le mieux pour décrire ce que l’on ressent, depuis 15 jours que nous avons franchi la frontière argentine.
Vue d’ici, l’Argentine, c’est un peu l’Europe : il n’y a que des Blancs (à part dans la montagne) mais très peu d’Européens, c’est la crise économique (et morale aussi), on voit peu d’enfants dans les rues, 90% des véhicules sont de marque européenne ou américaine, et pour finir les journaux et la télé n’ont de cesse de vous faire croire que l’insécurité est partout.  

Les zèbres font traverser sur les zébras...
En Bolivie c’est exactement le contraire : l’immense majorité de la population est Quechua, ou métis mais parlant le quechua, alors que presque tous les Blancs que nous croisons sont Européens, car la ville est pleine d’étudiants ou d’expatriés français, hollandais, irlandais…
Crisis, what crisis? La Bolivie connaît la plus forte croissance du continent, loin devant le Brésil et l’Uruguay, près de 5% par an, on se croirait en Asie… 

Uniformes de collège
Idem pour les objets roulants qui sillonnent les rues sans relâche, directement importés du Japon, de Chine ou de Corée : au début c’est un peu perturbant de voir tous ces minibus (il y en a des centaines), avec des idéogrammes japonais ou coréens inscrits sur leurs flancs, et puis on s’y fait, vu que de toute façon on ne sait plus très bien où on est, peut-être en Africasie américaine?


或者是你吗...
Quant aux journaux, rien à voir non plus, à peine s’ils consacrent un quart de page à un petit crime de rien du tout, mais ça ne dure pas trois jours. Le pays est en marche, alors on raconte en détail le combat diplomatique mené contre le Chili, pour enfin obtenir un accès à la mer, et puis il y a tant à dire sur les communautés indigènes qui revendiquent à tout crin, pour l’accès à la terre, pour la répartition des subventions agricoles, pour l’enseignement des langues aborigènes…

Rien à cirer ?
Question sécurité, c’est vrai,  on est passé dans un autre monde. On ne s’est jamais sentis aussi tranquilles depuis qu’on est partis. Il y a pourtant des grilles en fer qui barrent l’entrée de toutes les épiceries qui pullulent au coin des rues, mais c’est pour permettre aux mamies qui les tiennent de regarder tranquillement la télé à l’étage, en attendant le client! 


N’empêche, on n’arrive toujours pas à s’habituer à récupérer les courses à travers les grilles, puis à payer en passant les billets à travers les barreaux, on a l’impression que c’est nous qui sommes en prison!


Mais pour nous, le cœur battant de la ville c’est le Mercado Central, le grand marché couvert en plein centre, où s’arrêtent tous les minibus. 


C’est le royaume des femmes, qui tiennent quasiment toutes les échoppes, regroupées par produits.


 Aux échoppes spécialisées dans les têtes de poulets succèdent celles qui vendent les ailes et les cuisses, à côté d’autres femmes, assises à même le sol, qui proposent deux ou trois variétés d’avocats, empilées comme de petites montagnes… 


D’autres, juchées derrière des piles de fruits, vendent des jus «à la carte», avec paille et verre à pied, chacun pouvant demander son propre cocktail… Il y a aussi des pâtes, du riz et du quinoa en vrac, dans de grands sacs, pesés dans de vieilles balances en fer. 


Plus loin c’est le coin des feuilles de coca, où les vendeuses disparaissent presque derrière leurs grands sacs en plastique bleu… Et puis les drogueries, les quincailleries, les tailleurs, les cordonniers, les fabricants de clés…

Notre cantine
A l’étage, c’est la cantine, des dizaines de petites cuisines, avec chacune ses tables et chaises. On aime bien y venir déjeuner, les enfants s’amusent à composer leur assiette, à mesure que les cuisinières soulèvent pour eux les couvercles de leurs grosses marmites en aluminium. 

Notre table
Et c’est bon, très bon même, et très frais par-dessus le marché, la preuve en est qu’aucun de nous n’a encore été malade !
Quel contraste avec le supermarché ultramoderne, où nous ont envoyés nos charmants propriétaires, pour faire nos courses le soir de notre arrivée. Un copié-collé total de chez nous, avec les prix aussi, et même les fruits et légumes emballés sous vide! Peuplé d’Européens et de jeunes Boliviens branchés, l’endroit nous avait laissé une drôle d’impression, à nous qui débarquions des fins fonds de la Cordillère…

Le Général Sucre
Mais c’est aussi cela, la Bolivie, un pays de contrastes absolus, de contradictions apparentes et permanentes : ainsi abondent dans la ville des statues et des musées commémorant l’Indépendance, et en particulier les victoires du Général Sucre, qui a donné son nom à la ville il y a 200 ans. 


Pourtant tous les habitants, quelque soit leur origine et y compris dans les journaux, continuent à l’appeler par son nom quechua : Chuquisaca. Comme c’est aussi le nom de la province, officiellement cette fois, il y a de quoi s’y perdre un peu au début…
Idem pour le drapeau et le sentiment national, très fort ici, quelque soit l’origine ethnique. 
Et c’est vrai qu’il est beau, le drapeau bolivien, flottant partout au vent avec ses trois couleurs et ses armes frappées en plein milieu : un condor, un lama, la montagne magique de Potosi… 


Mais depuis 10 ans qu’ils ont mis et remis au pouvoir un président aborigène («origenes» comme on dit ici), les Boliviens ont un deuxième drapeau : le fameux drapeau aux carreaux multicolores, qui symbolise l’unité et la diversité des peuples aborigènes, et qui accompagne depuis son petit frère dans toutes les manifestations officielles. 

Le Wipacha
On pourrait en faire une litanie, depuis la coexistence entre les femmes pauvres qui mendient en tenue traditionnelle, et ces autres femmes quechuas, toutes pomponnées et occidentalisées, qui les croisent au volant de leurs imposants 4X4 flambant neufs. 



Il faudrait aussi citer la noria de chauffeurs de taxi et de leurs Toyota Corolla brinqueballantes, qui passent leur temps à klaxonner mais qui jamais ne s’énervent…


Bref, on se plaît bien ici, on mène une petite vie pèpère, on se repose entre deux périples. Cours le matin, balade en ville l’après-midi, sorties en minibus le week-end dans les villages alentours, dont quelques-uns avec des marchés incroyables,...

Le marché de Tarabuco
 ...où descendent à pied et en ânes tous les villageois des montagnes…


La ville regorge de surprises : à côté des innombrables musées et des dizaines d’églises, il y a de très beaux parcs, impeccablement entretenus. Le plus beau est sans conteste celui du cimetière.


Cimetière vertical
Mais on a bien aimé aussi celui du parc Bolivar, avec sa Tour Eiffel la plus haute du monde comme disent les Boliviens.

La tour Eiffel
A 2 700 m d’altitude, ils n’avaient pas grand effort à faire! 


On croise aussi une flopée de vrais pubs irlandais ou hollandais, avec des bières excellentes produites dans une des quatre brasseries artisanales de la ville. 




Il y a même des cafés-concerts, des pâtisseries et des restaurants français avec des cartes et une qualité de service dignes des grands boulevards parisiens, des chocolateries italiennes… 


Quant à la pizzeria du coin de la rue, elle nous sert des pâtes fraîches et des produits de saison… 



Tous ces lieux pourraient paraître totalement invraisemblables pour un pays réputé très pauvre, et surtout pour une ville dépassant à peine les 300 000 habitants, mais ils ne sont pourtant pas l’apanage des touristes et expatriés européens : on y croise aussi fréquemment la classe moyenne et la jeunesse locales, tout ce joli monde communiquant dans cette (autre) langue de la mondialisation qu’est l’espagnol. 


Muy bien, Anémone a bien raison de se motiver (et de s’amuser), en se rendant chaque jour dans une des innombrables boutiques proposant des cours d’espagnol.
On s’étonne aussi du vin bolivien, rouge autant que blanc, totalement inconnu et carrément bon, qu’on achète 2€ la bouteille à l’épicerie, le même prix que les cigarettes américaines (on a un peu de mal avec les locales, et leur goût sucré et giroflé, vendues à l’unité à tous les coins de rue).
Pour finir avec les contrastes et les étonnements, il faudrait dire un mot des olympiades de la science, qui ont lieu en ce moment à Sucre. En première page du journal local, l’événement est illustré par quelques étudiants visiblement doués, présentant un robot volant ultra-sophistiqué. Rien de très étonnant, sauf qu’ils avaient tous revêtu, pour l’occasion, le costume traditionnel quechua…

Moi je vous le dis, ma petite dame : la Bolivie est une terre d’avenir!


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