Les toits de Sucre |
Nous voici posés pour deux semaines au cœur de la Bolivie, dans la charmante ville de Sucre, où Hélène nous a dégoté un appartement aux petits oignons. Magie d’internet : en cherchant des infos sur la ville, elle est tombée sur le site d’une jeune française, Pauline, qui a créé un centre d’accueil pour des enfants déficients intellectuels. Elle a pris contact, demandé si par hasard elle ne connaîtrait pas un hébergement, et il s’est trouvé que ses propriétaires avaient justement un logement disponible.
La chambre des enfants |
Depuis
une semaine nous vivons donc dans un bel appartement, avec à l’étage les
chambres, une salle de bain avec douche chaude, s’il vous plait, et une petite
terrasse dominant un magnifique patio plein de fleurs… et même un cognassier!
Au rez-de-chaussée il y a la cuisine, un second WC avec une machine à laver, et
un grand salon-salle à manger.
Le living-room |
Bref, le grand luxe, et tout cela pour 700
Bolivianos par semaine (moins de 100 €).
Comme
à Humahuaca, notre dernier hébergement en Argentine, on n’est qu’à 10 mn à pied
du centre ville. Mais ça, c’est pour y aller, parce que pour revenir, vue la
pente, il faut compter au moins le double, voire plus avec les sacs pleins de
commissions!
Et dire qu’on en voit régulièrement monter en courant… On se console
en se disant qu’ils sont nés ici, finalement ils n’ont pas grand mérite!
D’ailleurs au bout d’une semaine on commence à améliorer notre temps de
remontée, dans quelques mois on sera à leur niveau… si on arrête de fumer!
Sucre |
Depuis
notre cocon, perchés au-dessus de la ville, nous n’en continuons pas moins à
découvrir ce pays… comment dire… déroutant? Je crois que c’est le mot qui
convient le mieux pour décrire ce que l’on ressent, depuis 15 jours que nous
avons franchi la frontière argentine.
Vue
d’ici, l’Argentine, c’est un peu l’Europe : il n’y a que des Blancs (à
part dans la montagne) mais très peu d’Européens, c’est la crise économique (et
morale aussi), on voit peu d’enfants dans les rues, 90% des véhicules sont de
marque européenne ou américaine, et pour finir les journaux et la télé n’ont de
cesse de vous faire croire que l’insécurité est partout.
Les zèbres font traverser sur les zébras... |
En Bolivie c’est exactement le
contraire : l’immense majorité de la population est Quechua, ou métis mais
parlant le quechua, alors que presque tous les Blancs que nous croisons sont
Européens, car la ville est pleine d’étudiants ou d’expatriés français,
hollandais, irlandais…
Crisis,
what crisis? La Bolivie connaît la plus forte croissance du continent, loin
devant le Brésil et l’Uruguay, près de 5% par an, on se croirait en Asie…
Uniformes de collège |
Idem pour les objets roulants qui sillonnent
les rues sans relâche, directement importés du Japon, de Chine ou de Corée :
au début c’est un peu perturbant de voir tous ces minibus (il y en a des
centaines), avec des idéogrammes japonais ou coréens inscrits sur leurs flancs,
et puis on s’y fait, vu que de toute façon on ne sait plus très bien où on est,
peut-être en Africasie américaine?
或者是你吗... |
Quant
aux journaux, rien à voir non plus, à peine s’ils consacrent un quart de page à
un petit crime de rien du tout, mais ça ne dure pas trois jours. Le pays est en
marche, alors on raconte en détail le combat diplomatique mené contre le Chili,
pour enfin obtenir un accès à la mer, et puis il y a tant à dire sur les
communautés indigènes qui revendiquent à tout crin, pour l’accès à la terre,
pour la répartition des subventions agricoles, pour l’enseignement des langues
aborigènes…
Rien à cirer ? |
Question
sécurité, c’est vrai, on est passé dans
un autre monde. On ne s’est jamais sentis aussi tranquilles depuis qu’on est
partis. Il y a pourtant des grilles en fer qui barrent l’entrée de toutes les
épiceries qui pullulent au coin des rues, mais c’est pour permettre aux mamies
qui les tiennent de regarder tranquillement la télé à l’étage, en attendant le
client!
N’empêche, on n’arrive toujours pas à s’habituer à récupérer les
courses à travers les grilles, puis à payer en passant les billets à travers
les barreaux, on a l’impression que c’est nous qui sommes en prison!
Mais
pour nous, le cœur battant de la ville c’est le Mercado Central, le grand
marché couvert en plein centre, où s’arrêtent tous les minibus.
C’est le
royaume des femmes, qui tiennent quasiment toutes les échoppes, regroupées par
produits.
Aux échoppes spécialisées dans les têtes de poulets succèdent celles
qui vendent les ailes et les cuisses, à côté d’autres femmes, assises à même le
sol, qui proposent deux ou trois variétés d’avocats, empilées comme de petites
montagnes…
D’autres, juchées derrière des piles de fruits, vendent des jus «à
la carte», avec paille et verre à pied, chacun pouvant demander son propre
cocktail… Il y a aussi des pâtes, du riz et du quinoa en vrac, dans de grands
sacs, pesés dans de vieilles balances en fer.
Plus loin c’est le coin des
feuilles de coca, où les vendeuses disparaissent presque derrière leurs grands
sacs en plastique bleu… Et puis les drogueries, les quincailleries, les
tailleurs, les cordonniers, les fabricants de clés…
Notre cantine |
A l’étage, c’est la cantine,
des dizaines de petites cuisines, avec chacune ses tables et chaises. On aime
bien y venir déjeuner, les enfants s’amusent à composer leur assiette, à mesure
que les cuisinières soulèvent pour eux les couvercles de leurs grosses marmites
en aluminium.
Notre table |
Et c’est bon, très bon même, et très frais par-dessus le marché,
la preuve en est qu’aucun de nous n’a encore été malade !
Quel
contraste avec le supermarché ultramoderne, où nous ont envoyés nos charmants
propriétaires, pour faire nos courses le soir de notre arrivée. Un copié-collé
total de chez nous, avec les prix aussi, et même les fruits et légumes emballés
sous vide! Peuplé d’Européens et de jeunes Boliviens branchés, l’endroit nous
avait laissé une drôle d’impression, à nous qui débarquions des fins fonds de
la Cordillère…
Le Général Sucre |
Mais
c’est aussi cela, la Bolivie, un pays de contrastes absolus, de contradictions
apparentes et permanentes : ainsi abondent dans la ville des statues et
des musées commémorant l’Indépendance, et en particulier les victoires du
Général Sucre, qui a donné son nom à la ville il y a 200 ans.
Pourtant tous les
habitants, quelque soit leur origine et y compris dans les journaux, continuent
à l’appeler par son nom quechua : Chuquisaca. Comme c’est aussi le nom de
la province, officiellement cette fois, il y a de quoi s’y perdre un peu au
début…
Idem
pour le drapeau et le sentiment national, très fort ici, quelque soit l’origine
ethnique.
Et c’est vrai qu’il est beau, le drapeau bolivien, flottant partout
au vent avec ses trois couleurs et ses armes frappées en plein milieu : un
condor, un lama, la montagne magique de Potosi…
Mais depuis 10 ans qu’ils ont
mis et remis au pouvoir un président aborigène («origenes» comme on dit ici),
les Boliviens ont un deuxième drapeau : le fameux drapeau aux carreaux
multicolores, qui symbolise l’unité et la diversité des peuples aborigènes, et
qui accompagne depuis son petit frère dans toutes les manifestations
officielles.
Le Wipacha |
On pourrait en faire une litanie, depuis la coexistence entre les
femmes pauvres qui mendient en tenue traditionnelle, et ces autres femmes
quechuas, toutes pomponnées et occidentalisées, qui les croisent au volant de
leurs imposants 4X4 flambant neufs.
Il
faudrait aussi citer la noria de chauffeurs de taxi et de leurs Toyota Corolla
brinqueballantes, qui passent leur temps à klaxonner mais qui jamais ne
s’énervent…
Bref,
on se plaît bien ici, on mène une petite vie pèpère, on se repose entre deux
périples. Cours le matin, balade en ville l’après-midi, sorties en minibus le
week-end dans les villages alentours, dont quelques-uns avec des marchés
incroyables,...
Le marché de Tarabuco |
...où descendent à pied et en ânes tous les villageois des montagnes…
La
ville regorge de surprises : à côté des innombrables musées et des
dizaines d’églises, il y a de très beaux parcs, impeccablement entretenus. Le
plus beau est sans conteste celui du cimetière.
Cimetière vertical |
Mais on a bien aimé aussi celui
du parc Bolivar, avec sa Tour Eiffel la plus haute du monde comme disent les
Boliviens.
La tour Eiffel |
A 2 700 m d’altitude, ils n’avaient pas grand effort à faire!
On croise aussi une flopée de vrais pubs irlandais ou hollandais, avec des
bières excellentes produites dans une des quatre brasseries artisanales de la
ville.
Il y a même des cafés-concerts, des pâtisseries et des restaurants français avec des cartes et une qualité de service dignes des grands boulevards parisiens, des chocolateries italiennes…
Quant à la pizzeria du coin de la rue,
elle nous sert des pâtes fraîches et des produits de saison…
Tous ces lieux
pourraient paraître totalement invraisemblables pour un pays réputé très
pauvre, et surtout pour une ville dépassant à peine les 300 000 habitants, mais
ils ne sont pourtant pas l’apanage des touristes et expatriés européens :
on y croise aussi fréquemment la classe moyenne et la jeunesse locales, tout ce
joli monde communiquant dans cette (autre) langue de la mondialisation qu’est
l’espagnol.
Muy bien, Anémone a bien raison de se motiver (et de s’amuser), en
se rendant chaque jour dans une des innombrables boutiques proposant des cours
d’espagnol.
On
s’étonne aussi du vin bolivien, rouge autant que blanc, totalement inconnu et
carrément bon, qu’on achète 2€ la bouteille à l’épicerie, le même prix que les
cigarettes américaines (on a un peu de mal avec les locales, et leur goût sucré
et giroflé, vendues à l’unité à tous les coins de rue).
Pour
finir avec les contrastes et les étonnements, il faudrait dire un mot des
olympiades de la science, qui ont lieu en ce moment à Sucre. En première page
du journal local, l’événement est illustré par quelques étudiants visiblement
doués, présentant un robot volant ultra-sophistiqué. Rien de très étonnant,
sauf qu’ils avaient tous revêtu, pour l’occasion, le costume traditionnel
quechua…
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